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VALDIVIA.

Nous longeons la côte nous dirigeant vers le nord ; mais il fait si vilain temps, que nous n’arrivons à Valdivia que dans la soirée du 8. Le lendemain matin, un canot nous conduit à la ville, située à environ 10 milles (16 kilomètres) du port. En remontant le fleuve nous apercevons de temps en temps quelques huttes et quelques champs cultivés qui rompent un peu la monotonie de la forêt ; de temps en temps aussi nous rencontrons un canot portant une famille indienne. La ville, située dans une plaine au bord du fleuve, est si complètement enveloppée par un bois de pommiers, que les rues ne sont guère que des sentiers dans un verger. Je n’ai jamais vu de pays où le pommier réussisse aussi bien que dans cette partie humide de l’Amérique méridionale ; sur le bord des routes on voit une foule de ces arbres, qui évidemment se sont semés eux-mêmes. Les habitants de Chiloé ont un moyen bien commode pour se faire un verger. À l’extrémité inférieure de presque toutes les branches se trouve une partie conique brune et ridée ; cette partie est toujours prête à se changer en racine, comme on peut le voir quelquefois quand un peu de boue a été accidentellement projetée sur l’arbre. On choisit, au commencement du printemps, une branche grosse à peu près comme la cuisse d’un homme ; on la coupe juste au-dessus d’un groupe de ces points, on enlève toutes les autres pousses, puis on l’enterre à une profondeur de 2 pieds à peu près dans le sol. Pendant l’été suivant, cette racine produit de longues tiges qui, quelquefois même, portent des fruits. On m’en a montré une qui avait produit vingt-trois pommes ; mais c’est là un fait extraordinaire. Au bout de trois ans, cette racine est devenue un bel arbre chargé de fruits, comme j’ai pu le voir moi-même. Un vieillard, habitant près de Valdivia, médisait : « Necesidad es la madre del invencion », et me le prouvait en me disant tout ce qu’il faisait avec ses pommes. Après en avoir fait du cidre et même du vin, il distillait la pulpe pour se procurer une eau-de-vie blanche ayant un excellent goût ; en employant un autre procédé, il obtenait de la mélasse, ou du miel, comme il l’appelait. Ses enfants et ses cochons, pendant la saison, ne sortaient jamais de son verger, car ils y trouvaient abondamment de quoi se nourrir.

11 février. — Je pars, accompagné d’un guide, pour faire une courte excursion pendant laquelle je ne parviens pas à apprendre grand chose sur la géologie du pays ou sur ses habitants. Il n’y a pas beaucoup de terrains cultivés près de Valdivia ; après avoir