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ASPECT DU PAYS.

deurs brumeuses du ciel, et ce lent effacement ne manqua pas de nous intéresser vivement.

À en juger par leur teint et par leur petite taille, les habitants semblent avoir trois quarts de sang indien dans les veines. Ce sont des gens humbles, tranquilles, industrieux. Bien que le sol fertile provenant de la décomposition des roches volcaniques soutienne une luxuriante végétation, le climat n’est cependant pas favorable aux produits qui ont besoin de soleil pour arriver à maturité. Il y a peu de pâturages pour les grands quadrupèdes ; en conséquence, les principaux aliments sont les cochons, les pommes de terre et le poisson. Les habitants portent tous d’épais vêtements de laine que chaque famille tisse elle-même et qu’on teint en bleu avec de l’indigo. Toutefois tous les arts sont encore à l’état le plus grossier et, pour en avoir la preuve, on n’a qu’à examiner leur singulier mode de labourage, leur mode de tissage, leur manière de moudre le grain ou la construction de leurs bateaux. Les forêts sont si impénétrables, que la terre n’est cultivée nulle part, sauf près de la côte et sur les îlots voisins. Aux endroits mêmes où existent des sentiers on peut à peine les traverser, tant le sol est marécageux ; aussi les habitants, comme ceux de la Terre de Feu, circulent-ils principalement sur le bord de la mer ou dans leurs bateaux. Bien que les vivres soient en abondance, les habitants sont très-pauvres ; il n’y a pas de travail et, en conséquence, les pauvres ne peuvent se procurer l’argent nécessaire pour acheter le plus petit objet inutile ; en outre, l’argent monnayé fait défaut à tel point, que j’ai vu un homme porter sur son dos un sac de charbon qu’il allait donner en payement d’un menu objet et un autre échanger une planche contre une bouteille de vin. Chacun est donc obligé de se faire marchand pour revendre ce qu’il a reçu dans ces nombreux échanges.

24 novembre. — La yole et la baleinière partent, sous le commandement de M. Sulivan, pour reconnaître la côte orientale de l’île de Chiloé, avec ordre de retrouver le Beagle à l’extrémité méridionale de l’île, point auquel le vaisseau se rendra après avoir fait le tour de l’île entière. J’accompagne cette expédition ; mais, au lieu de prendre ma place dans les bateaux, dès le premier jour, je loue des chevaux pour me conduire à Chacao, située à l’extrémité septentrionale de l’île. La route suit le bord de la mer, traversant de temps en temps des promontoires couverts de belles forêts. Dans ces endroits abrités, la route est faite de pièces de bois grossièrement équarries et placées les unes près des autres ; en effet, les