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CHILI CENTRAL.

famille n’a-t-il personne qui puisse cultiver le terrain qui lui appartient jusqu’à ce qu’il ait un fils assez âgé pour le remplacer dans le travail qu’il doit au propriétaire. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la pauvreté soit extrême chez les ouvriers agricoles de ce pays.

Il y a quelques vieilles ruines indiennes dans le voisinage, et on m’a montré une des pierres perforées, lesquelles, d’après Molina, se trouvent en nombre considérable dans quelques endroits. Ces pierres affectent une forme circulaire aplatie ; elles ont de 5 à 6 pouces de diamètre et un trou les traverse de part en part. On a supposé assez ordinairement qu’elles devaient servir de têtes pour les massues, bien qu’elles paraissent peu propres à cet usage. Burchell[1] constate que quelques tribus de l’Afrique méridionale arrachent les racines en se servant d’un bâton pointu à une de ses extrémités, et que, pour augmenter la force et le poids de ce bâton, on place à l’autre extrémité une pierre perforée. Il est probable que les Indiens du Chili ont anciennement employé quelque grossier outil agricole analogue.

Un jour, un naturaliste allemand, nommé Renous, vint me voir et presque en même temps arriva un vieux notaire espagnol. Leur conversation m’amusa beaucoup. Renous parle si correctement l’espagnol, que le vieux notaire le prit pour un Chilien. Renous, parlant de moi, demanda à son interlocuteur ce qu’il pensait du roi d’Angleterre qui envoyait au Chili un homme dont la seule occupation était de chercher des lézards et des scarabées, et de casser des pierres. Le vieillard réfléchit profondément pendant quelques instants, puis il répondit : « Cela me paraît fort louche — Hay un gato encerrado aqui (il y a un chat caché là-dessous). Personne n’est assez riche pour dépenser autant d’argent dans un but aussi inutile. C’est louche, je le répète ; si nous envoyions un Chilien remplir la même mission en Angleterre, je suis persuadé que le roi de ce pays le chasserait immédiatement. » Or, ce vieillard appartient, par sa profession, aux classes les plus instruites et les plus intelligentes. Renous lui-même confia, il y a deux ou trois ans, quelques chenilles à une jeune fille de San Fernando en lui recommandant de les bien nourrir ; il voulait se procurer les papillons. Le bruit de la mission confiée à la jeune fille se répandit dans la ville ; les padres et le gouverneur s’émurent ; il y eut une longue consulta-

  1. Burchell, Travels, vol. II, p. 45.