Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/274

Cette page a été validée par deux contributeurs.
258
LA TERRE DE FEU.

trouvé croissant par 45 brasses de profondeur. Des couches de cette plante marine, même lorsqu’elles n’ont pas une grande largeur, forment d’excellents brise-lames flottants. Il est fort curieux de voir, dans un port exposé à l’action des vagues, avec quelle rapidité les grosses lames venant du large diminuent de hauteur et se transforment en eau tranquille dès qu’elles traversent ces tiges flottantes.

Le nombre des créatures vivantes de tous les ordres, dont l’existence est intimement liée à celle de ces algues, est véritablement étonnant. On pourrait remplir un fort gros volume rien qu’en faisant la description des habitants de ces bancs de plantes marines. Presque toutes les feuilles, sauf celles qui flottent à la surface, sont recouvertes d’un si grand nombre de zoophytes qu’elles en deviennent blanches. On trouve là des formations extrêmement délicates, les unes habitées par de simples polypes ressemblant à l’Hydre, d’autres par des espèces mieux organisées ou par de magnifiques Ascidies composées. On trouve aussi, attachés à ces feuilles, différents coquillages patelliformes, des Troques, des Mollusques nus et quelques bivalves. D’innombrables crustacés fréquentent chaque partie de la plante. Si on secoue les grandes racines entremêlées de ces algues, on en voit tomber une quantité de petits poissons, de coquillages, de seiches, de crabes de tous genres, d’œufs de mer, d’étoiles de mer, de magnifiques Holuthuries, des Planairies et des animaux affectant mille formes diverses. Chaque fois que j’ai examiné une branche de cette plante, je n’ai pas manqué de découvrir de nouveaux animaux aux formes les plus curieuses. À Chiloé, où cette algue ne croît pas si bien, on ne trouve sur elle ni coquillages, ni zoophytes, ni crustacés ; on y trouve cependant quelques Flustres et quelques Ascidies qui, toutefois, appartiennent à une espèce différente de celle de la Terre de Feu, ce qui nous prouve que la plante a un habitat plus étendu que les animaux qui l’habitent. Je ne peux comparer ces grandes forêts aquatiques de l’hémisphère méridional qu’aux forêts terrestres des régions intertropicales. Je ne crois pas cependant que la destruction d’une forêt, dans un pays quelconque, entraînerait, à beaucoup près, la mort d’autant d’espèces d’animaux que la disparition du macroscystis. Au milieu des feuilles de cette plante vivent de nombreuses espèces de poissons qui, nulle part ailleurs, ne pourraient trouver un abri et des aliments ; si ces poissons venaient à disparaître, les cormorans et les autres oiseaux pêcheurs,