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LE CONDOR.

morceaux de viande sur cette toile ; les vautours vinrent en toute hâte manger ces morceaux de viande et, après les avoir dévorés, restèrent tranquillement sur la toile sans découvrir la masse qui se trouvait par-dessous et dont ils n’étaient séparés que par le huitième d’un pouce. On fit une petite ouverture dans la toile. Les vautours se précipitèrent alors sur la masse. On les chassa, on remplaça la toile déchirée par une nouvelle toile, on plaça à nouveau des morceaux de viande sur cette toile, les mêmes vautours vinrent la dévorer sans découvrir la masse cachée qu’ils foulaient sous leurs pattes. Six personnes, outre M. Bachman, affirment ces faits, qui se sont passés sous leurs yeux[1].

Bien des fois, alors que j’étais couché par terre sur le dos au milieu de ces plaines, j’ai vu des vautours traverser les airs à une immense hauteur. Quand le pays est plat, je ne crois pas qu’un homme à pied ou à cheval puisse scruter avec attention un espace de plus de 15 degrés au-dessus de l’horizon. S’il en est ainsi et que le vautour plane à une hauteur de 3000 ou 4000 pieds, il se trouverait à une distance de plus de 2 milles anglais (3k, 22) en droite ligne avant de se trouver dans le champ de vue de l’observateur. N’est-il pas tout naturel que, dans ces conditions, il échappe à la vue ? Ne se peut-il pas que, quand un chasseur poursuit et abat un animal quelconque dans une vallée solitaire, un de ces oiseaux, à la vue perçante, suive de loin ses moindres mouvements ? Ne se peut-il pas aussi que leur façon de voler, quand ils descendent, indique à toute la famille des vautours qu’une proie est en vue ?

Quand les condors décrivent cercles après cercles autour d’un endroit quelconque, leur vol est admirable. Je ne me rappelle pas leur avoir jamais vu battre des ailes, sauf quand ils s’enlèvent de terre. Dans les environs de Lima, j’en observai plusieurs pendant près d’une demi-heure sans les quitter des yeux un seul instant, ils décrivaient des cercles immenses, montant et descendant sans donner un seul coup d’aile. Quand ils passaient à une petite distance au-dessus de ma tête, je les voyais obliquement et je pouvais distinguer la silhouette des grandes plumes qui terminent chacune des ailes ; si ces plumes avaient été agitées, fût-ce par le moindre mouvement, elles se seraient confondues l’une avec l’autre ; or elles se détachaient absolument distinctes sur le ciel bleu. L’oiseau meut fréquemment la tête et le cou en semblant exercer un

  1. London, Magazine of Nat. Hist., vol. VII.