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LE SANTA CRUZ.

six semaines sans nourriture ; je ne puis affirmer la véracité de cette assertion ; c’est une expérience cruelle à faire, ce qui n’empêche pas, sans doute, qu’elle n’ait été faite.

On sait que les condors, comme tous les autres vautours d’ailleurs, apprennent bien vite la mort d’un animal dans une partie quelconque du pays et se rassemblent de la façon la plus extraordinaire. Il est à remarquer que, dans presque tous les cas, les oiseaux ont découvert leur proie et ont absolument nettoyé le squelette avant que la chair du cadavre sente mauvais. Me rappelant les expériences de M. Audubon sur le peu d’odorat des vautours, je fis, dans le jardin dont je viens de parler, l’expérience suivante : les condors étaient attachés chacun à une corde le long d’un mur du jardin. J’enveloppai un morceau de viande dans du papier blanc et, tenant ce paquet à la main, je me promenai longtemps devant eux, à une distance d’environ 3 mètres ; aucun d’eux ne sembla s’apercevoir de ce que je portais. Je jetai alors le paquet sur le sol, à 1 mètre environ d’un vieux mâle ; il le considéra un moment avec la plus grande attention, puis détourna les yeux sans s’en occuper davantage. À l’aide de ma canne je rapprochai le paquet de lui de plus en plus, jusqu’à ce qu’il le touchât avec son bec ; en un instant il avait déchiré le papier à coups de bec, et, au même moment, tous les oiseaux de la rangée se mirent à battre des ailes et chacun d’eux fit tous les efforts possibles pour se débarrasser de ses entraves. Il eût été impossible de tromper un chien dans les mêmes circonstances. Les preuves pour et contre le puissant odorat des vautours se balancent singulièrement. Le professeur Owen a démontre que le vautour (Cathartes aura) a les nerfs olfactifs singulièrement développés ; le jour où M. Owen lut ce mémoire à la Société de zoologie, un des assistants raconta que, par deux fois, aux Indes occidentales, il avait vu des vautours se rassembler sur le toit d’une maison où se trouvait un cadavre que l’on n’avait pas enterré en temps utile et qui sentait fort mauvais. Dans ce cas, les vautours n’avaient pu voir ce qui se passait. D’un autre côté, outre les expériences d’Audubon, outre celle que j’ai faite moi-même et que je viens de rapporter, M. Bachman a fait aux États-Unis de nombreuses expériences qui tendent à prouver que ni le Cathartes aura (l’espèce disséquée par le professeur Owen), ni le gallinazo ne découvrent leur nourriture au moyen de leur odorat. M. Bachman recouvrit une quantité de viande pourrie et sentant fort mauvais avec un morceau de toile à voile et jeta des