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LE CONDOR.

vu en Patagonie, je ne crois pas que les condors s’éloignent beaucoup chaque jour de l’endroit où ils ont l’habitude de se retirer pendant la nuit.

On peut souvent apercevoir les condors à une grande hauteur, tournoyant au-dessus d’un endroit et exécutant les cercles les plus gracieux. Je suis sûr que dans certains cas ils ne volent ainsi que pour leur plaisir, mais les paysans chiliens m’affirment qu’ils surveillent alors un animal en train de mourir ou un puma qui dévore sa proie. Si tout à coup les condors descendent rapidement, puis se relèvent aussi vite tous ensemble, les Chiliens savent que c’est le puma qui, surveillant le cadavre de l’animal qu’il vient de tuer, est sorti de sa cachette pour chasser les voleurs. Outre la viande pourrie dont ils se nourrissent, les condors attaquent fréquemment les jeunes chèvres et les agneaux ; les chiens bergers sont dressés, chaque fois qu’ils aperçoivent un de ces oiseaux, à sortir de leur niche et à aboyer bruyamment. Les Chiliens détruisent et attrapent un grand nombre de condors. Pour ce faire, on emploie deux méthodes. On place le cadavre d’un animal sur un terrain plat enfermé par une haie dans laquelle on a ménagé une ouverture ; quand les condors sont repus, on vient au galop fermer l’entrée : on les prend alors quand on veut, car, quand cet oiseau n’a pas l’espace suffisant pour prendre son élan, il ne peut s’enlever de terre. La seconde méthode est de remarquer les arbres où ils vont fréquemment percher au nombre de cinq ou six ; puis, pendant la nuit, on grimpe à l’arbre et on les enchaîne. C’est, d’ailleurs, chose facile, car, comme j’ai pu en juger moi-même, ils ont le sommeil très-dur. À Valparaiso, j’ai vu vendre un condor vivant pour 60 centimes ; mais c’est là une exception, car ils coûtent ordinairement 10 à 12 francs. J’en ai vu apporter un qu’on venait de prendre ; on l’avait attaché avec des cordes et il était grièvement blessé ; cependant, dès qu’on lui eut délié le bec, il se jeta avec voracité sur un morceau de viande qu’on lui jeta. Dans la même ville il y a un jardin où on en conserve vingt ou trente vivants. On ne leur donne à manger qu’une fois par semaine, et cependant ils paraissent se porter fort bien[1]. Les paysans chiliens affirment que le condor vit et garde même toute sa vigueur si on le laisse cinq ou

  1. J’ai remarqué que, plusieurs heures avant la mort d’un condor, tous les poux dont il est couvert viennent se placer sur les plumes extérieures. On m’a affirmé qu’il en était toujours ainsi.