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PATAGONIE.

s’arrêtent ordinairement, le regardent avec une profonde attention, font peut-être quelques mètres pour s’éloigner, puis se retournent et le considèrent de nouveau. Quelle est la cause de cette différence dans leur timidité ? Ne prendraient-ils pas l’homme à une grande distance pour leur principal ennemi, le puma ? Ou bien leur curiosité l’emporterait-elle sur leur timidité ? Les guanacos sont fort curieux, cela est un fait certain ; si, par exemple, on se couche par terre et qu’on fasse des gambades, qu’on lève les pieds en l’air ou quelque chose de semblable, ils s’approchent presque toujours pour voir ce que c’est. Nos chasseurs ont eu souvent recours à cet artifice, qui leur a toujours réussi ; il présentait en outre cet avantage qu’on pouvait tirer plusieurs coups de feu qu’ils considéraient sans doute comme un accompagnement obligé de la représentation. J’ai vu plus d’une fois, sur les montagnes de la Terre de Feu, un guanaco non-seulement hennir et crier quand on s’approchait de lui, mais encore bondir et sauter de la façon la plus ridicule, comme s’il voulait offrir le combat. On réduit facilement ces animaux en domesticité, et j’en ai vu près des habitations dans la Patagonie septentrionale un grand nombre réduits à cet état, ne pas s’éloigner, bien que l’on ne se donne pas la peine de les enfermer. Ils deviennent alors très-hardis et attaquent fréquemment l’homme en le frappant avec les deux jambes de derrière. On affirme que le motif de ces attaques est un grand sentiment de jalousie qu’ils éprouvent pour leurs femelles. Les guanacos sauvages, au contraire, ne semblent pas avoir même l’idée de se défendre ; un seul chien suffit à retenir le plus gros de ces animaux jusqu’à ce que le chasseur ait le temps d’arriver. Sous bien des rapports leurs habitudes ressemblent à celles des moutons ; ainsi, lorsqu’ils voient plusieurs hommes à cheval s’approcher dans différentes directions, ils perdent la tête et ne savent plus de quel côté s’échapper. Les Indiens, qui ont sans doute attentivement observé ces animaux, connaissent bien cette habitude, car ils ont basé sur elle leur système de chasse ; ils les entourent en les ramenant toujours vers un point central.

Les guanacos se jettent facilement à la nage ; nous en avons vu souvent à Port Valdes passer d’une île à une autre. Byron, dans son voyage, dit qu’il les a vus boire de l’eau salée. Quelques-uns des officiers du Beagle ont aussi observé un troupeau de guanacos qui s’approchait d’une saline près du cap Blanco pour venir boire l’eau saumâtre ; je pense, d’ailleurs, que dans plusieurs parties du