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OCÉAN ATLANTIQUE.

soufflait avec une assez grande violence et la crête des vagues, que l’on voit pendant le jour se briser en écume, émettait actuellement une splendide lumière pâle. La proue du navire soulevait deux vagues de phosphore liquide, et sa route se perdait à l’horizon dans une ligne de feu. Aussi loin que la vue pouvait s’étendre resplendissaient les vagues et la réverbération était telle, que le ciel, à l’horizon, nous paraissait enflammé, ce qui faisait un contraste saisissant avec l’obscurité qui régnait au-dessus de notre tête.

À mesure que l’on s’avance vers le sud, on observe de moins en moins la phosphorescence de la mer. Au large du cap Horn, je n’ai observé ce phénomène qu’une seule fois, et encore était-il loin d’être brillant. Cela provient probablement du petit nombre d’êtres organiques qui habitent cette partie de l’Océan. Après le mémoire[1] si complet d’Ehrenberg sur la phosphorescence de la mer, il est presque superflu que je fasse de nouvelles remarques à ce sujet. Je puis ajouter cependant que les mêmes parcelles déchirées et irrégulières de matière gélatineuse, décrites par Ehrenberg, semblent causer ce phénomène aussi bien dans l’hémisphère austral que dans l’hémisphère boréal. Ces parcelles sont assez petites pour passer facilement à travers un tamis très-serré ; un assez grand nombre, toutefois, se distinguent facilement à l’œil nu. L’eau placée dans un verre donne des étincelles quand on l’agite ; mais une petite quantité d’eau placée dans un verre de montre est rarement lumineuse. Ehrenberg constate que ces parcelles conservent un certain degré d’irritabilité. Mes observations, dont la plupart ont été faites avec de l’eau puisée directement dans la mer phosphorescente, me conduisent à une conclusion différente. Je puis ajouter aussi que, ayant eu l’occasion de me servir d’un filet pendant que la mer était phosphorescente, je le laissai sécher en partie ; en m’en servant à nouveau, le lendemain soir, je m’aperçus qu’il émettait encore autant de lumière au moment où je le plongeai dans l’eau qu’au moment où il en était sorti la veille. Il ne me semble pas probable, dans ce cas, que les parcelles gélatineuses aient pu rester si longtemps vivantes. Je me rappelle aussi avoir conservé dans l’eau jusqu’à sa mort un poisson du genre Dianæa ; cette eau devint alors lumineuse. Quand les vagues émettent une brillante lumière verte, je crois que la phosphorescence est due

  1. Le numéro IV du Magazine of Zoology and Botany contient un extrait de ce mémoire.