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OCÉAN ATLANTIQUE.

Un jour, à Santa-Fé, je fus à même de mieux observer des faits analogues. Une araignée ayant environ trois dixièmes de pouce de longueur, et qui ressemblait beaucoup à une Citigrade, se tenait au sommet d’un poteau ; tout à coup elle fila quatre ou cinq fils, qui, brillant au soleil, pouvaient se comparer à des rayons divergents de lumière ; cependant ces rayons n’étaient pas droits, mais plutôt ondulés comme des brins de soie agités par le vent. Ces fils avaient environ 1 mètre de longueur et s’élevaient autour de l’araignée, qui soudain lâcha le poteau et fut bientôt entraînée hors de vue. Il faisait très-chaud, et l’air semblait parfaitement calme ; cependant l’air ne peut jamais être assez tranquille pour ne pas exercer une action sur un tissu aussi délicat que le fil d’une araignée. Si, pendant une chaude journée, on observe l’ombre d’un objet projetée sur une éminence, ou si, dans une plaine, on considère quelque objet éloigné, on s’aperçoit presque toujours qu’il existe un courant d’air chaud se dirigeant de bas en haut ; on peut acquérir la preuve de ces courants au moyen de bulles de savon, qui ne s’élèvent pas dans une chambre. Il n’est donc pas fort difficile de comprendre que les fils tissés par l’araignée tendent à s’élever, et que l’araignée elle-même finisse par s’enlever aussi. Quant à la divergence des fils, M. Murray, je crois, a essayé de l’expliquer par leur état électrique semblable. J’ai trouvé dans plusieurs occasions des araignées de la même espèce, mais d’âge et de sexe différents, attachées en grand nombre aux cordages du bâtiment, à une grande distance de la terre, ce qui tend à prouver que l’habitude de voyager dans l’air caractérise cette espèce comme l’habitude de plonger caractérise l’Argyronète. Nous pouvons donc rejeter la supposition de Latreille, à savoir : que les fils de la Vierge doivent leur origine indifféremment aux jeunes de plusieurs genres d’araignées ; bien que, comme nous l’avons vu, les jeunes d’autres araignées possèdent la faculté d’accomplir des voyages aériens[1].

Pendant nos différentes traversées au sud de la Plata, je laissais fréquemment dans le sillage du vaisseau un filet en toile, ce qui me permit de prendre quelques animaux curieux. Je recueillis ainsi plusieurs crustacés fort remarquables appartenant à des genres non décrits. L’un de ces crustacés, allié sous quelques rapports aux Notopoda (crabes qui ont les pattes postérieures placées pres-

  1. M. Blackwell, dans ses Researches in Zoology, a fait plusieurs observations excellentes sur les habitudes des araignées.