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RESTES DU TOXODON.

vant lui, ne pouvant arrêter leur monture. Il s’élança immédiatement à leur poursuite, plongea son couteau dans le dos de l’un des voleurs, blessa l’autre, reprit son cheval et rentra chez lui. Pour arriver à des résultats aussi parfaits, il faut deux choses : un mors très-puissant comme celui des mamelucks, mors dont on se sert rarement, mais dont le cheval connaît exactement la force, et d’immenses éperons émoussés avec lesquels on peut simplement effleurer la peau du cheval ou lui causer une violente douleur. Avec des éperons anglais, qui entament la peau dès qu’ils la touchent, je crois qu’il serait impossible de dresser un cheval à l’américaine.

Dans une estancia, près de Las Vacas, on abat chaque semaine une grande quantité de juments dans le seul but d’en vendre la peau, bien qu’elle ne vaille que 5 dollars en papier, ou environ 3 fr. 50. Il semble d’abord fort étrange qu’on tue des juments pour une somme si minime, mais comme on pense dans ce pays qu’il est absurde de dompter ou de monter une jument, elles ne servent qu’à la reproduction. Je n’ai jamais vu employer les juments que dans un seul but, battre le grain ; pour cela on les dresse à tourner en cercle dans un enclos où on a répandu les gerbes. L’homme qu’on employait à abattre les juments était fort célèbre pour la dextérité avec laquelle il se servait du lasso. Placé à 12 mètres de l’ouverture du corral, il pariait avec qui voulait qu’il saisirait par les jambes tout animal qui passerait devant lui sans en manquer un seul. Un autre homme proposait le pari suivant : il entrerait à pied dans le corral, attraperait une jument, attacherait ses jambes de devant, la ferait sortir, la jetterait sur le sol, la tuerait, la dépècerait et étendrait la peau pour la faire sécher (ce qui est une opération fort longue) ; il pariait qu’il répéterait cette opération vingt-deux fois par jour, ou bien encore qu’il tuerait et dépècerait cinquante animaux en un jour. C’eût été là un travail prodigieux, car on considère que tuer et dépecer quinze ou seize animaux par jour est tout ce qu’un homme peut faire.

26 novembre. — Je pars pour revenir en droite ligne à Montevideo. Ayant appris qu’il y avait quelques ossements gigantesques dans une ferme voisine sur le Sarandis, petit ruisseau qui se jette dans le rio Negro, je m’y rends accompagné de mon hôte et j’achète pour 18 pence une tête de Toxodon[1]. Cette tête était en parfait

  1. Je désire exprimer toute ma reconnaissance à M. Keane, chez qui je demeurais sur le Berquelo, et à M. Lumb, à Buenos Ayres, car, sans leurs bons soins et leur obligeance, ces restes précieux ne seraient jamais parvenus en Angleterre