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COLLINE DE PERLES.

loir pas aller plus loin, ils s’échappent dans les champs de chardons et on ne les revoit plus. Il y a fort peu d’estancias dans ces régions, et les quelques-unes qui s’y trouvent sont situées dans le voisinage des vallées humides, où heureusement aucune de ces terribles plantes ne peut croître. La nuit nous surprend avant que nous ayons atteint le but de notre voyage, et nous passons la nuit dans une misérable petite hutte habitée par de pauvres gens ; l’extrême politesse de notre hôte et de notre hôtesse fait un contraste charmant avec tout ce qui nous entoure.

22 novembre. — Nous arrivons à une estancia située sur les bords du Berquelo. Cette propriété appartient à un Anglais fort hospitalier, pour lequel mon ami M. Lucas m’a donné une lettre d’introduction. J’y reste trois jours. Mon hôte me conduit à la sierra del Pedro Flaco, située 20 milles plus haut, sur les bords du rio Negro. Une herbe excellente, bien qu’un peu grossière, et atteignant le ventre des chevaux, couvre le pays presque tout entier. Il y a là cependant des espaces de plusieurs lieues carrées où on ne rencontre pas une seule tête de bétail. Le Banda oriental pourrait nourrir un nombre incroyable d’animaux. Actuellement le nombre des peaux exportées annuellement de Montevideo se monte à trois cent mille ; la consommation intérieure est fort considérable, à cause du gaspillage fait de tous côtés. Un estanciero me dit qu’il a souvent à envoyer de grands troupeaux à une assez grande distance ; les bêtes tombent fréquemment sur le sol épuisées de fatigue ; il faut alors les tuer pour leur enlever la peau. Or il n’a jamais pu persuader aux Gauchos de prendre un quartier de ces bêtes pour leur repas, il faut que chaque soir ils tuent un bœuf pour leur souper ! Vu de la sierra, le rio Negro présente le coup d’œil le plus pittoresque que j’aie encore vu dans ces régions. Cette rivière, large, profonde et rapide en cet endroit, contourne la base d’une falaise à pic ; une ceinture de bois couvre chacune de ses rives, et les ondulations éloignées de la plaine couverte de gazon ferment l’horizon.

J’ai entendu souvent parler, pendant mon séjour en cet endroit, de la sierra de las Cuentas, colline située à plusieurs milles au nord. Ce mot signifie colline de perles. On m’a assuré en effet qu’on y trouve en grand nombre des petites pierres rondes de différentes couleurs, percées toutes d’un petit trou cylindrique. Les Indiens avaient autrefois coutume de les recueillir pour en faire des colliers et des bracelets, goût que partagent en commun, il est bon de le