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RHYNCHOPS NIGRA.

table mur de 30 ou 40 pieds de haut, formé d’arbres reliés les uns aux autres par des plantes grimpantes, donne au canal un aspect singulièrement sombre et sauvage. Je vis là un oiseau fort extraordinaire appelé Bec-en-ciseau (Rhynchops nigra). Cet oiseau a les jambes courtes, les pieds palmés, des ailes pointues extrêmement longues ; il est à peu près aussi gros qu’un sterne.

Le bec est aplati, mais dans un plan à angle droit avec celui que forme un bec en cuiller. Il est aussi plat, aussi élastique qu’un couteau à papier en ivoire, et la mandibule inférieure, contrairement à ce qui arrive chez tous les autres oiseaux, est 1 pouce et demi plus longue que la mandibule supérieure. Près de Maldonado, dans un lac à peu près desséché et qui, par conséquent, regorgeait de petits poissons, je vis plusieurs de ces oiseaux, qui se réunissent ordinairement par petites bandes, voler rapidement de long en large tout près de la surface de l’eau. Ils ont alors le bec tout grand ouvert, et ils tracent un sillon dans l’eau avec l’extrémité de leur mandibule inférieure ; l’eau était parfaitement calme, et c’était un fort curieux spectacle que de voir toute cette bande animée se refléter dans ce véritable miroir. Tout en volant, ils font de rapides détours et tirent habilement hors de l’eau, avec leur mandibule inférieure, de petits poissons qu’ils saisissent avec la partie supérieure de leur bec. Je les ai vus souvent attraper ainsi des poissons, car ils passaient continuellement devant moi, comme le font les hirondelles. Quand ils quittent la surface de l’eau, leur vol devient sauvage, irrégulier, rapide ; ils poussent alors des cris perçants. Quand on les voit pêcher, on comprend tout l’avantage qu’ont pour eux les longues plumes primaires de leurs ailes. Ainsi occupés, ces oiseaux ressemblent absolument au symbole qu’emploient beaucoup d’artistes pour représenter les oiseaux marins. Leur queue leur sert constamment de gouvernail.

Ces oiseaux sont communs dans l’intérieur, le long du rio Pa-