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HABITUDES DU JAGUAR.

jaguars. La crainte de rencontrer ce dernier animal enlève tout le charme qu’on éprouverait à se promener dans ces bois. Ce soir, je n’avais pas fait cent pas que j’ai remarqué le signe indubitable de la présence du tigre ; je fus donc obligé de revenir sur mes pas. On trouve semblables traces sur toutes les îles ; de même que, dans l’excursion précédente, el rastro de los Indios avait fait le sujet de notre conversation, de même cette fois on ne parla que de el rastro del tigre.

Les rives boisées des grands fleuves paraissent être la retraite favorite des jaguars ; on m’a dit, toutefois, qu’au sud de la Plata ils fréquentent les roseaux qui bordent les lacs ; où qu’ils aillent, ils semblent avoir besoin d’eau. Leur proie la plus ordinaire est le capybara, aussi dit-on ordinairement que là où cet animal est nombreux on n’a rien à craindre du jaguar. Falconer affirme que près de l’embouchure de la Plata il y a beaucoup de jaguars qui se nourrissent de poissons, et des témoins dignes de foi m’ont confirmé cette assertion. Sur les bords du Parana, les jaguars tuent beaucoup de bûcherons, et viennent même rôder sur les navires pendant la nuit. J’ai causé à Bajada avec un homme qui, montant sur le pont de sa barque pendant la nuit, fut saisi par un de ces animaux ; il échappa à ses étreintes, mais il perdit un bras. Quand les inondations les chassent hors des îles du fleuve, ils deviennent très-dangereux. On m’a raconté qu’un jaguar énorme pénétra, il y a quelques années, dans une église de Santa-Fé. Il tua l’un après l’autre deux prêtres qui entrèrent dans l’église ; un troisième n’échappa à la mort qu’avec la plus grande difficulté ; on dut, pour arriver à détruire cet animal, découvrir une partie du toit de l’église et le tuer à coups de fusil. Pendant les inondations, les jaguars commettent de grands ravages parmi les bestiaux et les chevaux. On dit qu’ils tuent leur proie en lui brisant le cou. Si on les chasse du cadavre de l’animal qu’ils viennent de tuer, ils reviennent rarement auprès de lui. Les Gauchos affirment que les renards suivent le jaguar en glapissant quand il erre pendant la nuit ; ceci coïncide curieusement avec le fait que les chacals accompagnent de la même façon le tigre de l’Inde. Le jaguar est un animal bruyant ; la nuit, il fait entendre de continuels rugissements, surtout quand le temps va devenir mauvais.

Pendant une chasse sur les bords de l’Uruguay, on me montra certains arbres auprès desquels ces animaux reviennent toujours, dans le but, dit-on, d’aiguiser leurs griffes. On me fit remarquer