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BAHIA BLANCA.

Le plan du général Rosas consiste à tuer tous les traînards, puis à chasser toutes les tribus vers un point central et à les y attaquer pendant l’été, avec le concours des Chiliens. On doit répéter cette opération trois ans de suite. Je pense qu’on a choisi l’été pour l’époque de l’attaque principale, parce que, pendant cette saison, il n’y a pas d’eau dans les plaines, et que les Indiens sont, par conséquent, obligés de suivre certaines routes. Pour empêcher les Indiens de traverser le rio Negro, au sud duquel ils seraient sains et saufs au milieu de vastes solitudes inconnues, le général Rosas a conclu un traité avec les Tehuelches, d’après lequel il leur paye une certaine somme pour tout Indien qu’ils tuent quand il essaye de passer au sud du fleuve, sous peine d’être exterminés eux-mêmes faute par eux de le faire. La guerre se fait principalement contre les Indiens de la Cordillère, car la plupart des tribus orientales grossissent l’armée de Rosas. Mais le général, tout comme lord Chesterfield, pensant sans doute que ses amis d’aujourd’hui peuvent devenir ses ennemis de demain, a soin de les placer toujours au premier rang, pour en faire tuer le plus grand nombre possible. Depuis que j’ai quitté l’Amérique méridionale, j’ai appris que cette guerre d’extermination avait complètement échoué.

Au nombre des jeunes filles faites prisonnières dans le même engagement, se trouvaient deux jolies Espagnoles qui avaient été enlevées toutes jeunes par les Indiens et qui ne pouvaient plus parler que le langage de leurs ravisseurs. À en croire ce qu’elles racontaient, elles devaient venir de Salta, lieu situé à plus de 1 000 milles (1 600 kilomètres) de distance en ligne droite. Cela donne une idée de l’immense territoire sur lequel errent les Indiens, et cependant, malgré son immensité, je crois que dans un demi-siècle il n’y aura plus un seul Indien sauvage au nord du rio Negro. Cette guerre est trop cruelle pour durer longtemps. On ne fait pas de quartier : les blancs tuent tous les Indiens qui leur tombent entre les mains, et les Indiens en font autant pour les blancs. On éprouve une certaine mélancolie quand on pense à la rapidité avec laquelle les Indiens ont disparu devant les envahisseurs. Schirdel[1] dit qu’en 1535, lors de la fondation de Buenos Ayres, il y avait des villages indiens contenant deux ou trois mille habitants. À l’époque même de Falconer (1730), les Indiens faisaient des incursions jusqu’à Luxan, Areco et Arrecife ; aujourd’hui ils sont repoussés au delà

  1. Purchas, Collection of Voyages. Je crois que la date est réellement 1537.