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BAHIA BLANCA.

étendent le cou un peu en avant et elles avancent très-lentement. Par deux fois différentes, j’ai vu des autruches traverser le Santa-Cruz à la nage à un endroit où le fleuve a environ 400 mètres de large et où le courant est très-rapide. Le capitaine Sturt[1], en descendant le Murrumbidgee, en Australie, a vu deux émeus en train de nager.

Les habitants du pays distinguent facilement, même à une grande distance, le mâle de la femelle. Le mâle est plus grand, il a des couleurs plus sombres[2] et une tête plus grosse. L’autruche, le mâle seul, je crois, fait entendre un cri singulier, grave, sifflant ; la première fois que j’ai entendu ce cri, je me trouvais au milieu de quelques monticules de sable et je l’ai attribué à quelque bête féroce, car c’est un cri de nature telle, qu’on ne peut dire ni d’où il vient ni de quelle distance. Alors que nous étions à Bahia Blanca pendant les mois de septembre et d’octobre, j’ai trouvé un grand nombre d’œufs semés de toutes parts à la surface du sol. Tantôt on les rencontre isolés çà et là ; dans ce cas les autruches ne les couvent pas et les Espagnols leur donnent le nom de huachos ; ou bien ils se trouvent réunis dans de petites excavations qui constituent le nid. J’ai vu quatre nids ; trois contenaient vingt-deux œufs chacun et le quatrième vingt-sept. En un seul jour de chasse à cheval, j’ai trouvé soixante-quatre œufs, dont quarante-quatre distribués dans deux nids et les vingt autres, des huachos, semés çà et là. Les Gauchos affirment unanimement, et il n’y a aucune raison qui puisse me mettre en garde contre leur affirmation, que le mâle seul couve les œufs et accompagne les jeunes pendant quelque temps après leur éclosion. Le mâle qui couve se trouve absolument au ras de terre, et il m’est presque arrivé une fois de faire passer mon cheval sur l’un d’eux. On m’a affirmé qu’à cette époque ils sont quelquefois féroces et même dangereux et qu’on les a vus attaquer un homme à cheval ; ils essayent alors de sauter sur lui. Mon guide m’a montré un vieillard qui avait été ainsi pourchassé et qui avait eu beaucoup de peine à échapper à l’oiseau en fureur. Je remarque que Burchell dit dans la relation de son voyage dans l’Afrique méridionale : « J’ai tué une autruche mâle dont les plumes étaient fort sales ; un Hottentot m’a dit qu’elle était en train de cou-

  1. Sturt, Travels, vol. II, p. 74.
  2. Un Gaucho m’a assuré avoir vu un jour une variété aussi blanche que la neige, une autruche albinos, et il ajoutait que c’était un magnifique oiseau.