Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme tous les animaux tendent à se multiplier au-delà de leurs moyens de subsistance, il a dû en être de même des ancêtres de l’homme, ce qui a inévitablement conduit ces derniers à la lutte pour l’existence et à la sélection naturelle. Les effets héréditaires de l’augmentation d’usage de certaines parties ont dû, en outre, donner une vigueur plus considérable à l’action de la sélection naturelle ; les deux phénomènes, en effet, réagissent constamment l’un sur l’autre. Il semble aussi, comme nous le verrons plus loin, que la sélection sexuelle a déterminé chez l’homme la formation de plusieurs caractères insignifiants. On doit attribuer à l’action uniforme présumée de ces influences inconnues, qui provoquent quelquefois chez nos animaux domestiques de brusques et profondes déviations de conformation, certaines autres modifications assez importantes peut-être, qu’il est impossible d’expliquer par l’action des causes précédemment indiquées.

À en juger d’après les habitudes des sauvages et de la plupart des quadrumanes, les hommes primitifs, nos ancêtres simio-humains, vivaient probablement en société. Chez les animaux rigoureusement sociables, la sélection naturelle agit parfois sur l’individu, en conservant les variations qui sont utiles à la communauté. Une association comprenant un grand nombre d’individus bien doués augmente rapidement et l’emporte sur les autres associations dont les membres sont moins bien doués, bien que chacun des individus qui composent la première n’acquière peut-être aucune supériorité sur les autres membres. Les insectes vivant en communauté ont acquis de cette façon plusieurs conformations remarquables qui ne rendent que peu ou point de services à l’individu, telles que l’appareil collecteur du pollen, l’aiguillon de l’abeille ouvrière, ou les fortes mâchoires des fourmis soldats. Je ne sache pas que, chez les animaux sociables supérieurs, aucune conformation ait été modifiée exclusivement pour le bien de la communauté, bien que quelques-unes de ces conformations rendent à la communauté des services secondaires. Les ruminants mâles, par exemple, ont sans doute acquis des cornes et les babouins mâles de fortes canines pour lutter plus avantageusement avec leurs rivaux afin de s’emparer des femelles, mais ces armes n’en servent pas moins aussi à la défense du troupeau. Le cas est tout différent quand il s’agit de certaines facultés mentales, ainsi que nous le verrons dans le cinquième chapitre ; ces facultés, en effet, ont été principalement, ou même exclusivement acquises pour l’avantage de la communauté, et les individus qui la composent en tirent, en même temps, un avantage indirect.