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Au contraire, je ne vois aucune raison pour mettre en doute qu’une main plus parfaitement conformée ne leur eût été avantageuse, à la condition importante à noter, qu’elle n’en fût pas pour cela moins propre à leur permettre de grimper aux arbres. Nous pouvons supposer qu’une main aussi parfaite que celle de l’homme aurait été moins avantageuse pour grimper, car les singes qui se tiennent le plus souvent dans les arbres, l’Ateles en Amérique, le Colobus en Afrique et l’Hylobates en Asie, ont le pouce très réduit en grosseur, souvent même rudimentaire, et les doigts partiellement adhérents, de sorte que leur main est ainsi convertie en simple crochet[1].

Dès qu’un ancien membre de la grande série des Primates en fut arrivé, soit à cause d’un changement dans le mode de se procurer ses aliments, soit à cause d’un changement d’une modification dans les conditions du pays qu’il habitait, à vivre moins sur les arbres et davantage sur le sol, son mode de locomotion a dû se modifier ; dans ce cas, il devait devenir ou plus rigoureusement quadrupède ou absolument bipède. Les babouins fréquentent les régions accidentées et rocheuses, et ne grimpent sur les arbres élevés que forcés par la nécessité[2], ils ont acquis presque la démarche du chien. L’homme seul est devenu bipède ; nous pouvons, je crois, expliquer en partie comment il a acquis son attitude verticale, qui constitue un de ses caractères les plus remarquables. L’homme n’aurait jamais atteint sa position prépondérante dans le monde sans l’usage de ses mains, instruments si admirablement appropriés à obéir à sa volonté. Sir C. Bell[3] a insisté sur le fait que « la main supplée à tous les instruments, et, par sa connexité avec l’intelligence, elle a assuré à l’homme la domination universelle ». Mais les mains et les bras n’auraient jamais pu devenir des organes assez parfaits pour fabriquer des armes, pour lancer des pierres et des javelots avec précision, tant qu’ils servaient habituellement à la locomotion et à supporter le poids du corps, ou tant qu’ils étaient tout particulièrement adaptés, comme nous l’avons vu, pour grimper dans les arbres. Un service aussi rude aurait, d’ailleurs émoussé le sens du tact, dont dépendent essentiellement les usages délicats auxquels les doigts sont appro-

  1. Chez l’Hylobates syndactilus, comme le nom l’indique, deux des doigts sont adhérents ; fait qui se représente occasionnellement, à ce que m’apprend M. Blyth, dans les doigts des H. agilis, lar et leuciscus. Le Colobus est extraordinairement actif et habite exclusivement les arbres (Brehm, Thierleben, vol. I, p. 50) ; mais j’ignore si ces singes sont meilleurs grimpeurs que les espèces des genres voisins. Il est à remarquer que les pieds des paresseux, qui vivent exclusivement sur les arbres, ressemblent absolument à des crochets.
  2. Brehm, Thierleben, vol. I, p. 80.
  3. The Hand, its Mechanism, etc. Bridgewater Treatise, 1833, p. 38.