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des bêtes féroces. Personne n’oserait prétendre que la faculté reproductrice immédiate des chevaux et du bétail sauvage de l’Amérique se soit d’abord accrue d’une manière sensible, pour être plus tard réduite, à mesure que chaque région se peuplait davantage. Dans ce cas comme dans tous les autres, il n’est pas douteux qu’il y ait eu un concours de plusieurs obstacles, différant même selon les circonstances ; des disettes périodiques résultant de saisons défavorables devant probablement être comptées au nombre des causes les plus importantes. Il a dû en être de même pour les ancêtres primitifs de l’homme.


Sélection naturelle. — Nous avons vu que le corps et l’esprit de l’homme sont sujets à varier, et que les variations sont provoquées directement ou indirectement par les mêmes causes générales, et obéissent aux mêmes lois que chez les animaux inférieurs. L’homme s’est largement répandu à la surface de la terre ; dans ses incessantes migrations[1], il doit avoir été exposé aux conditions les plus différentes. Les habitants de la Terre de Feu, du cap de Bonne-Espérance et de la Tasmanie, dans l’un des hémisphères, et ceux des régions arctiques dans l’autre, doivent avoir traversé bien des climats et modifié bien des fois leurs habitudes avant d’avoir atteint leurs demeures actuelles[2]. Les premiers ancêtres de l’homme avaient aussi, sans doute, comme tous les autres animaux, une tendance à se multiplier au-delà des moyens de subsistance ; ils doivent donc avoir été accidentellement exposés à la lutte pour l’existence, et, par conséquent, soumis à l’inflexible loi de la sélection naturelle. Il en résulte que les variations avantageuses de tous genres ont dû être ainsi occasionnellement ou habituellement conservées, et les nuisibles éliminées. Je ne parle pas ici des déviations de conformation très prononcées, qui ne surgissent qu’à de longs intervalles, mais seulement des différences individuelles. Nous savons, par exemple, que les muscles qui déterminent les mouvements de nos mains et de nos pieds sont, comme ceux des animaux inférieurs, sujets à une incessante variabilité[3]. En conséquence, si on suppose que les ancêtres simiens de l’homme, habitant une région quel-

  1. Voir quelques excellentes remarques, à cet effet, de W. Stanley Jevons, A deduction from Darwin’s Theory, Nature, 1869, p. 231.
  2. Latham, Man and his Migrations, 1851, p. 135.
  3. MM. Murie et Mivart, dans leur Anatomy of the Lemuroïdea (Transact. Zoolog. Soc., vol. VII, 1869, pp. 96-98), disent : « Quelques muscles sont si irréguliers dans leur distribution qu’on ne peut pas bien les classer dans aucun des groupes ci-dessus. » Ces muscles diffèrent même sur les côtés opposés du corps du même individu.