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tous les âges par les diverses maladies, qui frappent les habitants des maisons misérables et encombrées, est aussi un fait très important. Les effets des épidémies et des guerres sont promptement compensés et même au delà, chez les nations placées dans des conditions favorables. L’émigration peut aussi provoquer un arrêt temporaire de l’augmentation de la population, mais elle n’exerce aucune influence sensible sur les classes très pauvres.

Il y a lieu de supposer, comme l’a fait remarquer Malthus, que la reproduction est actuellement moins active chez les barbares que chez les nations civilisées. Nous ne savons rien de positif à cet égard, car on n’a pas fait de recensement chez les sauvages ; mais il résulte du témoignage concordant des missionnaires et d’autres personnes qui ont longtemps résidé chez ces peuples, que les familles sont ordinairement peu nombreuses, et que le contraire est la grande exception. Ce fait, à ce qu’il semble, peut s’expliquer en partie par l’habitude qu’ont les femmes de nourrir à la mamelle pendant très longtemps ; mais il est aussi très probable que les sauvages, dont la vie est souvent très pénible et qui ne peuvent pas se procurer une alimentation aussi nourrissante que les races civilisées, doivent être réellement moins prolifiques. J’ai démontré, dans un autre ouvrage[1], que tous nos animaux et tous nos oiseaux domestiques, ainsi que toutes nos plantes cultivées, sont plus féconds que les espèces correspondantes à l’état de nature. Les animaux, il est vrai, qui reçoivent un excès de nourriture ou qui sont engraissés rapidement et la plupart des plantes subitement transportées d’un sol très pauvre dans un sol très riche, deviennent plus ou moins stériles ; mais ce n’est pas là une objection sérieuse à la conclusion que nous venons d’indiquer. Cette observation nous amène donc à penser que les hommes civilisés qui sont, dans un certain sens, soumis à une haute domestication, doivent être plus prolifiques que les sauvages. Il est probable aussi que l’accroissement de fécondité chez les nations civilisées tend à devenir un caractère héréditaire comme chez nos animaux domestiques ; on sait au moins que, dans certaines familles humaines, il y a une tendance à la production de jumeaux[2].

Bien que moins prolifiques que les peuples civilisés, les sauvages augmenteraient sans aucun doute rapidement, si leur nombre n’était rigoureusement restreint par quelques causes. Les Santali, tribus habitant les collines de l’Inde, ont récemment offert un ex-

  1. De la Variation des Animaux, etc., vol II, pp. 117-120, 172.
  2. M. Sedgwick, British and Foreign medico-chirurg. Review, juillet 1863, p. 170.