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luttes très-rigoureuses pour l’existence, luttes auxquelles ne peuvent résister et survivre que les individus les plus favorisés.

À une époque très-reculée, avant que l’homme eût atteint sur l’échelle des êtres la position qu’il occupe aujourd’hui, les conditions de son existence devaient être très-différentes de ce qu’elles sont à présent. À en juger par analogie avec les animaux inférieurs, il vivait avec une seule femme ou pratiquait la polygamie. Les mâles les plus capables et les plus puissants devaient mieux réussir à obtenir les femelles les plus belles. Ils devaient mieux réussir aussi dans la lutte générale pour l’existence et dans la défense de leurs femelles et de leurs petits, contre leurs ennemis de tout genre. À cette époque primitive, les ancêtres de l’homme ne devaient pas diriger leurs regards vers des éventualités éloignées, car leurs facultés intellectuelles étaient encore bien imparfaites ; ils ne devaient donc pas prévoir que l’élevage de tous leurs enfants, et surtout des enfants femelles, rendrait plus difficile pour la tribu la lutte pour l’existence. Ils devaient écouter beaucoup plus leurs instincts et beaucoup moins leur raison que les sauvages actuels. Ils n’ont pas dû, à cette époque, perdre l’un des instincts les plus puissants, commun à tous les animaux inférieurs, celui de l’amour pour leurs petits, et l’idée d’infanticide peut être écartée. Il ne devait donc y avoir aucune rareté artificielle de femmes, et, comme conséquence, pas de polyandrie ; car la rareté des femmes est la seule cause assez puissante pour contrebalancer les instincts de jalousie que l’on rencontre chez presque tous les animaux, et le désir que chaque mâle éprouve de posséder une femelle pour lui seul. La polyandrie me paraît mener directement à la promiscuité complète ou au mariage en commun ; toutefois les meilleures autorités à ce sujet croient que la promiscuité a précédé la polyandrie. À cette époque primitive il ne devait pas y avoir de fiançailles prématurées, car cette coutume implique une certaine prévoyance. Les deux sexes, si les hommes le permettaient aux femmes, devaient choisir leur compagnon, sans avoir égard aux charmes de l’esprit, à la fortune, à la position sociale, mais en s’occupant presque uniquement de l’apparence extérieure. Tous les adultes devaient s’accoupler ou se marier, tous les enfants devaient autant que possible s’élever ; de sorte que la lutte pour l’existence devait devenir périodiquement très-rigoureuse. Dans ces temps primitifs toutes les conditions favorables à l’action de la sélection sexuelle devaient donc exister dans une proportion beaucoup plus grande que plus tard, alors que les aptitudes intellectuelles de l’homme avaient progressé, et que les instincts avaient diminué. Par conséquent, quelle qu’ait pu être