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et l’estiment beaucoup. Chaque partie du corps, d’après les lois des Anglo-Saxons, avait une valeur reconnue ; « la perte de la barbe était estimée à vingt shellings, tandis que la fracture d’une cuisse n’était fixée qu’à douze[1]. »

En Orient, les hommes jurent solennellement par leur barbe. Nous avons vu que Chinsurdi, chef des Makalolos en Afrique, regardait la barbe comme un grand ornement. Chez les Fidjiens, dans le Pacifique, « la barbe est abondante et touffue, et ils en sont très-fiers » ; « tandis que les habitants des archipels voisins de Tonga et de Samoa n’ont pas de barbe et détestent un menton velu. » Dans une seule île du groupe Ellice, les hommes ont de fortes et grosses barbes dont ils sont très-fiers[2].

Nous voyons donc combien l’idéal du beau diffère dans les diverses races humaines. Dans toute nation assez avancée pour façonner les effigies de ses dieux ou de ses législateurs déifiés, les sculpteurs se sont sans doute efforcés d’exprimer leur idéal le plus élevé du beau et du grand[3]. À ce point de vue, il est utile de comparer le Jupiter ou l’Apollon des Grecs aux statues égyptiennes ou assyriennes, et celles-ci aux affreux bas-reliefs des monuments en ruines de l’Amérique centrale.

Je n’ai rencontré que peu d’assertions contraires à cette conclusion. M. Winwood Reade, cependant, qui a eu de nombreuses occasions d’observer, non seulement les nègres de la côte occidentale d’Afrique, mais aussi ceux de l’intérieur, qui n’ont jamais été en relations avec les Européens, est convaincu que leurs idées sur la beauté sont, en somme, les mêmes que les nôtres. Le docteur Rohlfs affirme qu’il en est de même chez les Bornous et dans les pays habités par les Pullo. M. Reade s’est, à plusieurs reprises trouvé d’accord avec les nègres sur l’appréciation de la beauté des jeunes filles indigènes, et leurs idées sur la beauté des femmes européennes correspondait souvent à la nôtre. Ils admirent les longs cheveux et emploient des moyens artificiels pour en augmenter, en apparence, l’abondance ; ils admirent aussi la barbe, bien qu’ils n’en aient que fort peu. M. Reade est resté dans le doute sur le genre de nez qui est le plus apprécié. Une jeune fille ayant déclaré qu’elle ne voulait « pas épouser un homme parce qu’il n’avait pas de nez, » il semble en résulter qu’un nez très-aplati n’est pas

  1. Lubbock, Origin., etc., p. 321, 1870.
  2. Le docteur Barnard Davis cite Prichard et d’autres pour ce qui est relatif aux Polynésiens, dans Anthrop. Review, p. 185, 191, 1870.
  3. Ch. Comte fait quelques remarques sur ce sujet dans son Traité de Législation, p. 136, 3e  édit., 1837.