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d’un discours passionné peuvent évoquer en nous, paraissent, par leur étendue vague et par leur profondeur, comme des retours vers les émotions et les pensées d’une époque depuis longtemps disparue.

Tous ces faits relatifs à la musique deviennent jusqu’à un certain point compréhensibles, si nous pouvons admettre que les tons musicaux et le rhythme étaient employés par les ancêtres semi-humains de l’homme, pendant la saison des amours, alors que tous les animaux sont entraînés par l’amour et aussi par la jalousie, la rivalité ou le triomphe. Dans ce cas, d’après le principe profond des associations héréditaires, les sons musicaux pourraient réveiller en nous, d’une manière vague et indéterminée, les fortes émotions d’un âge reculé. Nous avons raison de supposer que le langage articulé est une des dernières et certainement une des plus sublimes acquisitions de l’homme ; or, comme le pouvoir instinctif de produire des notes et des rhythmes musicaux existe dans des classes très-inférieures de la série animale, il serait absolument contraire au principe de l’évolution d’admettre que la faculté musicale de l’homme a pour origine les diverses modulations employées dans le discours de la passion. Nous devons supposer que les rhythmes et les cadences de l’art oratoire proviennent au contraire de facultés musicales précédemment développées[1]. Ceci nous explique que la musique, la danse, le chant et la poésie sont des arts anciens. Nous pouvons même aller plus loin et, comme nous l’avons déjà fait remarquer dans un chapitre précédent, affirmer que la faculté d’émettre des notes musicales a servi de base au développement du langage[2]. Certains quadrumanes mâles ont les organes vocaux bien plus développés que les femelles, et le gibbon, un des singes anthropomorphes, peut employer toute une octave de notes musicales et presque chanter ; il n’y a donc rien d’improbable à soutenir que les ancêtres de l’homme, mâles ou femelles, ou tous deux, avant d’avoir acquis la faculté d’exprimer leurs tendres sentiments en langage articulé, aient cherché à se charmer l’un l’autre au moyen de notes musicales et d’un rhythme. Nous savons si peu de chose sur l’usage que les quadrumanes font de leur voix pendant la saison des amours, que nous n’avons presque

  1. Winwood Reade, The Martyrdom of man, 1872, p. 441, et African Sketch Book, 1873, vol. II, p. 313.
  2. Je trouve dans Lord Monboddo, Origin of Langage, vol. I (1774), p. 469, que le docteur Blacklock pensait également que le premier langage de l’homme avait été la musique, et qu’avant que nos idées fussent exprimées par des sons articulés, elles l’avaient été par des sons inarticulés graves ou aigus selon la circonstance.