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La musique excite en nous diverses émotions, mais non par elle-même, les émotions terribles de l’horreur, de la crainte, de la colère, etc. Elle éveille les sentiments plus doux de la tendresse et de l’amour, qui passent volontiers au dévouement. « On peut au moyen de la musique, disent les annales chinoises, faire descendre le ciel sur la terre. » Elle éveille aussi en nous les sentiments du triomphe et de l’ardeur glorieuse de la guerre. Ces impressions puissantes et mélangées peuvent bien produire le sens de la sublimité. Selon la remarque du docteur Seemann, nous pouvons résumer et concentrer dans une seule note de musique plus de sentiment que dans des pages d’écriture. Il est probable que les oiseaux éprouvent des émotions analogues, mais plus faibles et moins complexes, lorsque le mâle luttant avec d’autres mâles fait entendre tous ses chants pour séduire la femelle. L’amour est de beaucoup le thème le plus ordinaire de nos propres chants. Ainsi que le remarque Herbert Spencer, « la musique réveille des sentiments dont nous n’aurions pas conçu la possibilité, et dont nous ne connaissons pas la signification ; ou, comme le dit Richter ; « elle nous parle de choses que nous n’avons pas vues et que nous ne verrons jamais[1]. » Réciproquement, lorsqu’un orateur éprouve ou exprime de vives émotions, il emploie instinctivement un rythme et des cadences musicales, et nous faisons de même dans le langage ordinaire. Un nègre sous le coup d’une vive émotion se met à chanter, « un autre lui répond en chantant aussi, et tous les assistants, touchés pour ainsi dire par une onde musicale, finissent par imiter les deux interlocuteurs. » Les singes se servent aussi de tons différents pour exprimer leurs fortes impressions, — la colère et l’impatience par des tons bas, — la crainte et la douleur par des tons aigus[2]. Les sensations et les idées que la musique ou les cadences

  1. Voir l’intéressante discussion sur l’Origine et la fonction de la musique, par M. Herbert Spencer, dans ses Essays, p. 359, 1858, dans laquelle l’auteur arrive à une supposition exactement contraire à la mienne. Il conclut, comme autrefois Diderot, que les cadences employées dans un langage ému fournissent la base d’après laquelle la musique s’est développée, tandis que je conclus que les notes musicales et le rythme ont été en premier lieu acquis par les ancêtres mâles ou femelles de l’espèce humaine pour charmer le sexe opposé. Des tons musicaux, s’associant ainsi fixement à quelques-uns des sentiments passionnés les plus énergiques que l’animal puisse ressentir, sont donc émis instinctivement ou par association, lorsque le langage a de fortes émotions à exprimer. Pas plus que moi, M. Spencer ne peut expliquer, d’une façon satisfaisante, pourquoi les notes hautes ou basses servent à exprimer certaines émotions, tant chez l’homme que chez les animaux inférieurs. M. Spencer ajoute une discussion intéressante sur les rapports entre la poésie, le récitatif et le chant.
  2. Rengger, o. c., 49.