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qu’on peut considérer comme la fille du chant, est également si ancienne, que beaucoup de personnes sont étonnées qu’elle ait pris naissance pendant les périodes reculées sur lesquelles nous n’avons aucun document historique.

Les facultés musicales qui ne font entièrement défaut dans aucune race, sont susceptibles d’un prompt et immense développement, ce que nous prouvent les Hottentots et les nègres, qui deviennent aisément d’excellents musiciens, bien que, dans leur pays natal, ils n’exécutent rien que nous puissions appeler musique. Toutefois, Schweinfurth a écouté avec plaisir quelques simples mélodies du centre de l’Afrique. Mais il n’y a rien d’anormal à ce que les facultés musicales restent à l’état latent chez l’homme ; quelques espèces d’oiseaux, qui naturellement ne chantent jamais, apprennent à émettre des sons sans grande difficulté ; ainsi un moineau a appris le chant d’une linotte. Ces deux espèces, étant voisines et appartenant à l’ordre des Insessores, qui renferme presque tous les oiseaux chanteurs du globe, il est possible, probable même, qu’un ancêtre du moineau a été chanteur. Un fait beaucoup plus remarquable encore est que les perroquets, qui font partie d’un groupe distinct de celui des Insessores, et qui ont des organes vocaux d’une conformation toute différente, peuvent apprendre non seulement à parler, mais à siffler des airs imaginés par l’homme, ce qui suppose une certaine aptitude musicale. Néanmoins, il serait téméraire d’affirmer que les perroquets descendent de quelque ancêtre chanteur. On pourrait, d’ailleurs, indiquer bien des cas analogues d’organes et d’instinct primitivement adaptés à un usage, qui ont été, par la suite, utilisés dans un but tout différent[1]. L’aptitude à un haut développement musical que possèdent les races sauvages humaines, peut donc être due, soit à ce que leurs ancêtres semi-humains ont pratiqué quelque forme grossière de musique, soit simplement à ce qu’ils ont acquis dans quelque but distinct des organes vocaux appropriés. Mais, dans ce dernier cas, nous devons admettre qu’ils possédaient déjà, comme dans le cas précité des perroquets, et comme cela paraît être le cas chez beaucoup d’animaux, quelque sentiment de la mélodie.

  1. Depuis l’impression de ce chapitre j’ai lu un article remarquable de M. Chauncey Wright (North American Review, p. 293, Oct. 1870), qui, discutant le sujet en question, remarque : « Il y a beaucoup de conséquences des lois finales ou des uniformités de la nature par lesquelles l’acquisition d’une puissance utile amènera avec elle beaucoup d’avantages ainsi que d’inconvénients actuels ou possibles qui la limitent, et que le principe d’utilité n’aura pas compris dans son action. » Ce principe a une portée considérable, ainsi que j’ai cherché à le démontrer dans l’un des premiers chapitres de cet ouvrage, sur l’acquisition qu’a faite l’homme de quelques-unes de ses facultés mentales.