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cause de tant de bruit ; il croit que ces singes, comme beaucoup d’oiseaux, se délectent à l’audition de leur propre musique, et cherchent à se surpasser les uns les autres. Ont-ils acquis leur voix puissante pour éclipser leurs rivaux et séduire les femelles, — ou leurs organes vocaux se sont-ils augmentés et fortifiés par les effets héréditaires d’un usage longtemps continué sans avantage spécial obtenu, — c’est ce que je ne prétends point décider ; mais la première opinion paraît la plus probable, au moins pour l’Hylobates agilis.

Je mentionnerai ici deux particularités sexuelles fort curieuses, qui se rencontrent chez les phoques, parce que quelques auteurs ont supposé qu’elles doivent affecter la voix. Le nez du phoque à trompe (Macrorhinus proboscideus) mâle, âgé de trois ans, s’allonge beaucoup pendant la saison des amours ; cette trompe peut alors se redresser, et atteint souvent une longueur d’un pied. La femelle ne présente jamais de disposition de ce genre, et sa voix est différente. Celle du mâle consiste en un bruit rauque, gargouillant, qui s’entend à une grande distance, et on croit que la trompe tend à l’augmenter. Lesson compare l’érection de cette trompe au gonflement dont les caroncules des gallinacés mâles sont le siège quand ils courtisent les femelles. Dans une autre espèce voisine, le phoque à capuchon (Cystophora cristata), la tête est couverte d’une sorte de chaperon ou de vessie, qui, intérieurement supportée par la cloison du nez, se prolonge en arrière et s’élève en une crête de sept pouces de hauteur. Le capuchon est revêtu de poils courts, il est musculeux, et peut se gonfler de manière à dépasser la grosseur de la tête ! Lors du rut, les mâles se battent sur la glace comme des enragés en poussant des rugissements si forts « qu’on les entend à quatre milles de distance. » Lorsqu’ils sont attaqués, ils rugissent également, et gonflent leur vessie toutes les fois qu’on les irrite. Quelques naturalistes croient que cette conformation extraordinaire, à laquelle on a assigné encore divers autres usages, sert principalement à augmenter la puissance de leur voix. M. R. Brown pense qu’elle sert de protection contre les accidents de tous genres. Cette manière de voir me semble peu fondée, car M. Lamont, qui a tué plus de 600 de ces animaux, affirme que le capuchon ou la vessie reste à l’état rudimentaire chez les femelles et n’est pas développé chez les mâles encore jeunes[1].

  1. Voy. sur l’Éléphant marin (Phoca proboscidea) un article de Lesson, Dict. Class. Hist. Nat. XIII, p. 418. Sur le Cystophora ou Stemmatopus, Docteur Dekay, Ann. of Lyceum of Nat. Hist. New-York, vol. I, p. 94, 1824. Pennant a aussi recueilli de la bouche des pêcheurs de phoques des renseignements sur cet animal. La description la plus complète est celle de M. Brown, Proc. Zool. Soc., 1868, p. 435.