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dernières années dans les Adirondacks, où abonde le Cervus Virginianus. Il entendit, pour la première fois parler, il y a quatorze ans, de mâles à cornes pointues. Ces cerfs deviennent chaque année plus communs ; il en a tué un, il y a cinq ans, un second ensuite, et maintenant cela est très-fréquent. « La corne pointue diffère beaucoup de l’andouiller ordinaire du C. Virginianus. Elle consiste en une seule pièce, plus grêle que l’andouiller, atteignant à peine la moitié de la longueur de ce dernier, se projetant au-devant du front, et se terminant par une pointe aiguë. Elle donne à son possesseur un avantage considérable sur le mâle ordinaire ; il peut courir plus rapidement au travers des bois touffus et des broussailles (tout chasseur sait que les daims femelles et les mâles d’un an courent beaucoup plus vite que les gros mâles armés de leurs lourds andouillers), et la corne pointue est une arme plus efficace que l’andouiller commun. Grâce à ces avantages, les daims à corne pointue gagnent sur les autres, et pourront avec le temps les remplacer entièrement dans les Adirondacks. Il est certain que le premier daim à corne pointue n’était qu’un caprice de la nature, mais ces cornes ayant été avantageuses à l’animal, il les a transmises à ses descendants. Ceux-ci, doués du même avantage, ont propagé cette particularité qui a toujours été s’étendant, et les cerfs à corne pointue finiront peu à peu par chasser les cerfs à andouillers hors de la région qu’ils occupent. » Un critique discute ces conclusions et demande avec beaucoup de justesse comment il se fait que les bois branchus de la forme parente se sont jamais développés, puisque les simples cornes offrent aujourd’hui tant d’avantage. La seule réponse que je puisse faire est qu’un nouveau mode d’attaque avec de nouvelles armes peut constituer un grand avantage, comme le prouve l’exemple de l’Ovis cycloceros qui a pu ainsi vaincre un bouc domestique que sa force et son courage avaient rendu fameux. Bien que les bois d’un cerf soient bien adaptés pour ces combats avec les cerfs ses rivaux, et bien que ce puisse être un avantage pour l’espèce à cornes simples d’acquérir des bois biens développés, si elle n’avait qu’à lutter avec des animaux armés de la même façon, il ne s’en suit pas cependant, que les bois soient une arme excellente pour vaincre un ennemi différemment armé. Il est presque certain en effet, si nous revenons pour un instant à l’Oryx leucoryx, que la victoire appartiendrait à une antilope pourvue de cornes courtes, qui par conséquent n’aurait pas à s’agenouiller, mais en même temps il serait avantageux à un oryx d’avoir des cornes encore plus longues s’il n’avait à lutter qu’avec des rivaux appartenant à son espèce.