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résumé, et les faits que nous allons citer confirment cette hypothèse, il paraît probable qu’il faut attribuer à la sorte d’hérédité qui a prévalu, les différences que l’on observe ; chez les deux sexes au point de vue des armes qu’ils possèdent.

Le renne étant la seule espèce, dans toute la famille des cerfs, dont la femelle ait des cornes, un peu plus petites, il est vrai, un peu plus minces et un peu moins ramifiées que celles du mâle, on pourrait en conclure que ces cornes ont quelque utilité. On a cependant la preuve du contraire. La femelle conserve ses bois depuis le moment où ils sont complètement développés, c’est-à-dire en septembre, jusqu’en avril ou mai, époque où elle met bas. M. Grotch a bien voulu faire pour moi des recherches sérieuses en Norwège ; il paraît que les femelles, à cette époque, se cachent pendant une quinzaine de jours environ pour mettre bas, puis reparaissent ordinairement privées de leurs cornes. D’autre part, M. H. Zecks affirme que dans la Nouvelle-Écosse les femelles gardent plus longtemps leurs cornes. Le mâle, au contraire, dépouille ses bois beaucoup plus tôt, vers la fin de novembre. Or, comme les deux sexes ont les mêmes exigences et les mêmes habitudes, et que le mâle perd ses bois pendant l’hiver, ces annexes ne doivent avoir aucune utilité pour la femelle dans cette saison, où justement elle les porte. Il n’est pas probable que ce soit quelque antique ancêtre de la famille des cerfs qui lui ait transmis ses bois : le fait que les mâles de tant d’espèces, dans toutes les parties du globe, possèdent seuls des bois, nous permet de conclure que c’était là un caractère primitif du groupe[1].

Les bois se développent chez le renne à un âge très-précoce, sans que nous en connaissions la cause. Quoi qu’il en soit, l’effet produit paraît avoir été le transfert des cornes aux deux sexes ; les cornes sont toujours transmises par la femelle et celle-ci conserve une aptitude latente à leur développement, comme nous le prouvent les cas de femelles vieilles ou malades[2]. En outre, les femelles de quelques autres espèces de cerfs possèdent normalement, ou de façon occasionnelle, des rudiments de bois ; ainsi la femelle du Cervulus moschatus a « des touffes rétiformes se terminant par un bouton au lieu

  1. Sur la structure et sur la chute des bois du renne, Hoffberg, Amœnitates Acad., IV, p. 149, 1788 ; Richardson, Fauna, etc., p. 241, sur l’espèce ou variété américaine ; et Major W. Ross King, the Sportsman in Canada, p. 80, 1866.
  2. Isid. Geoffroy Saint-hilaire, Essais de zoologie générale, p. 513, 1841. D’autres caractères masculins, outre les cornes, peuvent se transférer semblablement à la femelle ; ainsi M. Boner (Chamois Hunting in the Mountains of Bavaria, 1860, 2e  éd., p. 363) dit en parlant d’une vieille femelle de chamois « qu’elle avait non seulement la tête très masculine d’apparence, mais, sur le dos, une crête de longs poils qu’on ne trouve habituellement que chez les mâles. »