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femelles ont revêtu des couleurs aussi vives que les mâles, leurs instincts ont souvent dû se modifier et les pousser à se construire des nids couverts ou cachés.

Dans un petit nombre de cas curieux, les caractères et les habitudes des deux sexes ont subi une transposition complète : les femelles sont, en effet, plus grandes, plus fortes, plus criardes et plus richement colorées que les mâles. Elles sont aussi devenues assez querelleuses pour se battre les unes avec les autres, afin de s’emparer des mâles, comme les mâles des espèces les plus belliqueuses pour s’assurer la possession des femelles. Si, comme cela paraît probable, elles chassent ordinairement les femelles rivales et attirent les mâles par l’étalage de leurs vives couleurs ou de leurs autres charmes, nous pouvons comprendre comment elles sont devenues peu à peu, grâce à la sélection sexuelle et à la transmission limitée au sexe, plus belles que les mâles, — ceux-ci ne s’étant que peu ou pas modifiés.

Toutes les fois que prévaut la loi d’hérédité à l’âge correspondant, mais non celle de la transmission sexuellement limitée, et que les parents varient à une époque tardive de leur vie, — fait constant chez nos races gallines et qui se manifeste aussi chez d’autres oiseaux, — les jeunes ne subissent aucune modification, tandis que les adultes des deux sexes éprouvent de grands changements. Si ces deux lois de l’hérédité prévalent, et que l’un ou l’autre sexe varie tardivement, ce sexe seul se modifie ; l’autre sexe et les jeunes restent intacts. Lorsque des variations brillantes ou affectant tout autre caractère voyant surgissent à une époque précoce de la vie, ce qui arrive souvent, la sélection sexuelle ne peut agir sur elles que lorsque les jeunes se trouvent en état de reproduire ; il s’ensuit que la sélection naturelle pourra les éliminer, si elles sont dangereuses pour les jeunes. On comprend ainsi comment les variations qui surgissent tardivement ont été si souvent conservées pour l’ornementation des mâles ; les femelles et les jeunes n’éprouvent aucune modification, et restent par conséquent semblables entre eux. Les degrés et la nature des ressemblances entre les parents et les jeunes deviennent d’une complexité extrême, dans les espèces qui revêtent un plumage distinct pour l’été et pour l’hiver, car les mâles ressemblent alors aux femelles ou en diffèrent, soit dans les deux saisons, soit dans une seule : les caractères acquis par les mâles se doivent transmettre, mais avec des modifications que déterminent l’âge du père et de la mère, le sexe du jeune et la saison.

Les jeunes d’un grand nombre d’espèces n’ayant subi que peu de modifications dans la couleur et les autres ornements, nous pou-