Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/567

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait fort rare ; M. Swinhoe en dit autant des mâles non adultes de l’Oriolus[1]. Si les jeunes d’une espèce quelconque portant leur plumage primitif réussissaient mieux que les adultes à trouver des compagnes, le plumage adulte se perdrait probablement bientôt, car les mâles qui conserveraient le plus longtemps leur jeune plumage prévaudraient, ce qui tendrait à modifier ultérieurement les caractères de l’espèce[2]. Si, au contraire, les jeunes mâles ne parvenaient pas à se procurer des femelles, l’habitude d’une reproduction précoce disparaîtrait tôt ou tard complètement, comme superflue et comme entraînant à une perte de force.

Le plumage de certains oiseaux va croissant en beauté pendant plusieurs années après qu’ils ont atteint l’état adulte ; c’est le cas de la queue du paon, et des aigrettes et des plumets de quelques hérons, l’Ardea Ludoviciana par exemple[3] ; mais on peut hésiter à attribuer le développement continu de ces plumes à la sélection de variations successives avantageuses (bien que, chez les oiseaux de paradis, ce soit l’hypothèse la plus probable) ou simplement à un fait de croissance prolongée. La plupart des poissons continuent à augmenter de taille tant qu’ils sont en bonne santé et qu’ils ont à leur disposition une quantité suffisante de nourriture ; et il se peut qu’une loi semblable régisse la croissance des plumes des oiseaux.

Classe v. Lorsque les adultes des deux sexes ont un plumage pendant l’hiver et un autre pendant l’été, que le mâle diffère ou non de la femelle, les jeunes ressemblent aux adultes des deux sexes dans leur tenue d’hiver, ou beaucoup plus rarement dans leur tenue d’été, ou ressemblent aux femelles seules ; ou ils peuvent présenter un caractère intermédiaire, ou enfin ils peuvent différer considérablement des adultes, soit que ces derniers portent leur plumage d’hiver ou celui d’été. — Les cas que présente cette classe sont fort complexes, ce qui n’est pas étonnant, car ils dépendent de l’hérédité limitée plus ou moins par trois causes différentes, c’est-à-dire le sexe, l’âge et l’époque de l’année. Dans quelques cas, des individus de la même espèce passent par au moins cinq états distincts de plumage. Chez les espèces où les mâles ne diffèrent de la femelle que pendant l’été, ou, ce qui est plus rare, pendant les deux saisons[4], les jeunes ressemblent en général aux

  1. Voir la note précédente.
  2. D’autres animaux faisant partie de classes fort distinctes sont, ou habituellement, ou occasionnellement, capables de reproduire avant qu’ils aient acquis leurs caractères adultes complets. C’est le cas des jeunes saumons mâles. On connaît plusieurs Amphibiens qui se sont reproduits alors qu’ils avaient encore leur conformation larvaire. Fritz Müller a prouvé (für Darwin, etc., 1869) que les mâles de plusieurs crustacés amphipodes se complètent sexuellement fort jeunes ; et je conclus que c’est là un cas de reproduction prématurée, parce qu’ils n’ont pas encore acquis leurs appendices préhensiles complets. Tous ces faits sont intéressants au plus haut point en ce qu’ils portent sur un moyen qui peut provoquer de grandes modifications dans l’espèce.
  3. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 507, sur le Paon. Le Dr Marshall pense que les oiseaux de paradis mâles, plus vieux et plus brillants, ont une certaine supériorité sur les jeunes ; voir Archives Néerlandaises, vol. VI, 1871 ; Audubon, o. c., vol. III, p. 139, sur l’Ardea.
  4. Pour des exemples, voir Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. IV ; sur le Tringa, etc., p. 229, 271 ; sur le Machetes, p. 172 ; sur le Charadrius hiticula, p. 118 ; sur le Charadrius pluvialis, p. 94.