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pouvons conclure des faits cités dans le huitième chapitre, que l’époque de la variation constitue un élément important dans la détermination de la forme de transmission.

Il est difficile de décider quelle est la mesure qui doit nous servir à apprécier, chez les oiseaux, la précocité ou le retard de l’époque de la variation ; est-ce l’âge par rapport à la durée de la vie, ou l’âge par rapport à l’aptitude de la reproduction, ou l’âge par rapport au nombre de mues que l’espèce a à subir ? Les mues des oiseaux, même dans une seule famille, diffèrent quelquefois beaucoup sans cause apparente. Il est certains oiseaux qui muent de si bonne heure, que presque toutes les plumes du corps tombent avant que les premières rémiges se soient complètement développées, ce que nous ne pouvons admettre comme l’état primordial des choses. Lorsque l’époque de la mue a été accélérée, l’âge auquel les couleurs du plumage adulte se développent pour la première fois nous paraît à tort plus précoce qu’il ne l’est réellement. En effet, certains éleveurs d’oiseaux ont l’habitude d’arracher quelques plumes du poitrail à des bouvreuils, ou des plumes de la tête et du cou aux jeunes faisans dorés encore au nid afin de connaître leur sexe ; car, chez les mâles, ces plumes enlevées sont immédiatement remplacées par d’autres plumes colorées[1]. Comme la durée exacte de la vie n’est connue que pour peu d’oiseaux, nous ne pouvons tirer aucune conclusion certaine de cette donnée. Quant à l’époque où se produit l’aptitude à la reproduction, il est un fait remarquable, c’est que divers oiseaux peuvent reproduire, pendant qu’ils portent encore leur plumage de jeunesse[2].

Ce fait que les oiseaux se reproduisent, alors qu’ils portent encore leur jeune plumage, semble contraire à la théorie que la sélection sexuelle ait joué un rôle aussi important que celui que je lui attribue, c’est-à-dire qu’elle a procuré aux mâles des couleurs d’ornementation, des panaches, etc., ornements que, en vertu d’une égale transmission, elle a procurés aussi aux femelles de beaucoup d’espèces. L’objection aurait une certaine portée si les mâles plus jeunes et moins ornés réussissaient, aussi bien que les mâles plus âgés et plus beaux, à captiver les femelles et à propager leur espèce. Mais nous n’avons aucune raison pour supposer qu’il en soit ainsi. Audubon parle de la reproduction des mâles de l’Ibis tantalus avant l’âge adulte comme d’un

  1. M. Blyth, dans Charlesworth’s Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 300. Les indications sur le Faisan doré sont dues à M. Bartlett.
  2. J’ai remarqué les cas suivants dans l’Ornithological Biography d’Audubon. Le gobe-mouche américain (Muscicapa ruticilla, vol. I, p. 203). L’Ibis tantalus met quatre ans pour arriver à maturation complète, mais s’apparie quelquefois dans le cours de la seconde année (vol. III, p. 133). Le Grus Americanus prend le même temps et reproduit avant d’avoir revêtu son plumage parfait (vol. III, p. 211). Les Ardea cærulea adultes sont bleus et les jeunes blancs, et on peut voir appariés ensemble des oiseaux blancs pommelés et des oiseaux bleus adultes (vol. IV, p. 58) ; mais M. Blyth m’apprend que certains hérons sont évidemment dimorphes, car on peut voir des individus du même âge les uns blancs, les autres colorés. Le canard arlequin (Anas histrionica) ne revêt son plumage complet qu’au bout de trois ans, quoiqu’un grand nombre reproduisent dès la seconde année (vol. III, p. 614). L’aigle à tête blanche (Falco leucocephalus, vol. III, p. 210) reproduit également avant d’être adulte. Quelques espèces d’Oriolus (selon MM. Blyth et Swinhoe, Ibis, Juillet 1863, p. 68) font de même.