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Pour expliquer et rendre compréhensibles les trois modes précités qui, dans la classe qui nous occupe, ont pu amener une ressemblance entre les deux sexes et les jeunes, je citerai l’exemple curieux du genre Passer[1]. Chez le moineau domestique (P. domesticus), le mâle diffère beaucoup de la femelle et des jeunes. La femelle et les jeunes se ressemblent, et ressemblent également beaucoup aux deux sexes et aux jeunes du moineau de Palestine (P. brachydactilus) et de quelques espèces voisines. Nous pouvons donc admettre que la femelle et les jeunes du moineau domestique représentent approximativement le plumage de l’ancêtre du genre. Or, chez le P. montanus, les deux sexes et les jeunes ressemblent beaucoup au moineau domestique mâle ; ils ont donc tous été modifiés de la même manière, et s’écartent tous de la coloration typique de leur ancêtre primitif. Ceci peut provenir de ce qu’un ancêtre mâle du P. montanus a varié : premièrement alors qu’il était presque adulte ; ou secondement alors qu’il était tout jeune, et qu’il a, dans l’un et l’autre cas, transmis son plumage modifié aux femelles et aux jeunes ; ou, troisièmement, il peut avoir varié à l’état adulte et transmis son plumage aux deux sexes adultes ; et, la loi de l’hérédité aux âges correspondants n’intervenant pas, l’avoir, à quelque époque subséquente, transmis aux jeunes oiseaux.

Il est impossible de déterminer quel est celui de ces trois modes qui a pu prévaloir généralement dans la classe qui nous occupe. L’hypothèse la plus probable peut-être est celle qui admet que les mâles ont varié dans leur jeunesse et transmis leurs variations à leurs descendants des deux sexes, J’ajouterai ici que j’ai tenté, avec peu de succès d’ailleurs, d’apprécier, en consultant divers ouvrages, jusqu’à quel point la période de la variation a pu déterminer chez les oiseaux en général la transmission des caractères à un des sexes ou aux deux. Les deux règles auxquelles nous avons souvent fait allusion (à savoir que les variations survenant à une époque tardive ne se transmettent qu’au même sexe, tandis que celles survenant à un âge précoce se transmettent aux deux sexes) paraissent vraies pour la première[2], pour la seconde et pour la quatrième classe de cas ; mais elles sont en défaut dans la troisième, souvent dans la cinquième[3] et la sixième classe. Elles s’appliquent pourtant, autant que je puis en juger, à une majorité considérable des espèces, et nous ne devons pas oublier à cet égard la généralisation frappante que le Dr W. Marshall a faite relativement aux protubérances qui apparaissent sur la tête des oiseaux. Quoi qu’il en soit, nous

    du cygne polonais, Cygnus immutabilis de Yarrell, sont toujours blancs ; mais on croit que cette espèce, à ce que me dit M. Sclater, n’est qu’une variété du cygne domestique (C. olor).

  1. Je dois à M. Blyth les renseignements sur ce genre. Le moineau de Palestine appartient au sous-genre Petronia.
  2. Par exemple, les mâles du Tanagra æstiva et du Fringilla cyanea exigent trois ans, et celui du Fringilla ciris, quatre ans pour compléter leur beau plumage. (Audubon, Ornith. Biogr., vol. I, p. 233, 280, 378.) Le Canard arlequin prend trois ans. (Ib., vol. III, p. 614). Selon M. J. Jenner Weir, le Faisan doré mâle peut déjà se distinguer de la femelle à l’âge de trois mois, mais il n’atteint sa complète splendeur que vers la fin de septembre de l’année suivante.
  3. Ainsi l’Ibis tantalus et le Grus Americanus exigent quatre ans, le Flamant plusieurs années, et l’Arden Ludoviciana deux ans pour acquérir leur plumage parfait (Audubon, o. c., vol. I, p. 221 ; vol. III, p. 133, 139, 211).