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pes chez lesquels les femelles affectent de brillantes couleurs et construisent des nids cachés, il n’est pas nécessaire de supposer que l’instinct nidificateur de chaque espèce distincte ait été spécialement modifié ; il suffit d’admettre que les premiers ancêtres de chaque groupe ont été peu à peu conduits à construire des nids cachés ou abrités par un dôme, et ont ensuite transmis cet instinct à leurs descendants modifiés en même temps qu’ils leur transmettaient leurs vives couleurs. Cette conclusion, autant toutefois qu’on peut s’y fier, présente un vif intérêt, car elle tend à prouver que la sélection sexuelle, jointe à une hérédité égale ou presque égale chez les deux sexes, a indirectement déterminé le mode de nidification de groupes entiers d’oiseaux.

Chez les groupes même où, d’après M. Wallace, la sélection naturelle n’a pas éliminé les vives couleurs des femelles, parce qu’elles étaient protégées pendant l’incubation, on remarque souvent des différences légères entre les mâles et les femelles, et il arrive parfois que ces différences prennent une importance considérable. Ce fait est significatif, car nous ne pouvons attribuer ces différences de couleur qu’au principe en vertu duquel quelques-unes des variations des mâles ont été, dès l’abord, limitées dans leur transmission à ce sexe ; car on ne pourrait affirmer que ces différences, surtout lorsqu’elles sont légères, puissent constituer une protection pour les femelles. Ainsi toutes les espèces du groupe splendide des trogons construisent leurs nids dans des trous ; or, si nous examinons, dans l’ouvrage de M. Gould[1], les figures représentant les individus des deux sexes des vingt-cinq espèces de ce groupe, nous verrons que, sauf une exception, la coloration chez les deux sexes diffère quelquefois un peu, quelquefois beaucoup, et que les mâles sont toujours plus brillants que les femelles, bien que ces dernières soient déjà fort belles. Toutes les espèces de martins-pêcheurs construisent leurs nids dans des trous, et, chez la plupart des espèces, les mâles et les femelles sont également beaux, ce qui s’accorde avec la règle de M. Wallace ; mais chez quelques espèces d’Australie, les couleurs des femelles sont un peu moins vives que celles des mâles, et, chez une espèce à magnifiques couleurs, les mâles diffèrent des femelles au point qu’on les a d’abord regardés comme spécifiquement distincts[2]. M. H. B. Sharp, qui a étudié ce groupe avec une attention toute particulière, m’a montré quelques espèces américaines (Ceryle) chez lesquelles la poitrine du mâle est rayée de noir. Chez les Car-

  1. Monograph of Trogonidæ, 1e édition.
  2. À savoir le Cyanalcyon, Gould, Handbook, etc., vol. I, pp. 130, 133, 136.