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M. T. W. Wood[1] a observé le premier un autre point très-curieux qui mérite d’être signalé. Dans une photographie que m’a donnée M. Ward et qui représente un faisan Argus au moment où il déploie ses plumes, on remarque que, sur les plumes disposées perpendiculairement, les taches blanches des ocelles représentant la lumière réfléchie par une surface convexe se trouvent à l’extrémité supérieure, c’est-à-dire dirigée de bas en haut ; l’oiseau, en effet, posé sur le sol en déployant ses plumes, est naturellement éclairé par en haut. Mais là vient le point curieux dont nous avons parlé : les plumes extérieures gardent une position presque horizontale et leurs ocelles devraient paraître aussi illuminés par en haut et par conséquent les taches blanches devraient être placées sur le côté supérieur des ocelles, et, quelque incroyable que cela puisse paraître, c’est en effet la position qu’elles occupent. Il en résulte que les ocelles sur les diverses plumes, bien qu’occupant des positions très-différentes par rapport à la lumière, paraissent tous illuminés par en haut comme si un véritable artiste avait été chargé de disposer leurs ombres. Néanmoins, ils ne sont pas éclairés du point exactement convenable, car les taches blanches des ocelles situés sur les plumes qui restent presque horizontales, sont placées un peu trop à l’extrémité, c’est-à-dire qu’elles ne se trouvent pas tout à fait assez sur le côté. Nous n’avons d’ailleurs aucun droit de chercher la perfection absolue dans une partie que la sélection sexuelle a transformée en ornement, pas plus que dans une partie que la sélection naturelle a modifiée pour un usage constant, et nous pourrions citer, par exemple, l’œil humain. Nous savons, en effet, que Helmholtz, la plus haute autorité en Europe, a dit à propos de cet organe extraordinaire, que si un opticien lui avait vendu un instrument fabriqué avec si peu de soin, il n’aurait pas hésité à le lui laisser pour compte[2].


Il résulte, des observations que nous venons de faire, qu’on peut établir une série parfaite entre les taches simples et un admirable ornement représentant l’étonnant ocelle en forme de boule. M. Gould, qui a eu l’obligeance de me donner quelques-unes de ces plumes, reconnaît avec moi que la gradation est complète. Il est évident que les différentes phases de développement qu’on observe sur les plumes d’un oiseau n’indiquent pas nécessairement les divers états par lesquels ont dû passer les ancêtres éteints de l’espèce ; mais elles nous fournissent probablement l’explication des états actuels,

  1. The Field, 28 mai 1870.
  2. Popular lectures on scientific subjects, 1873, p. 219, 227, 269, 390.