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oiseaux. Au Chili[1], j’ai observé que, chez le Condor âgé d’un an environ, l’iris est brun foncé, mais qu’à l’âge adulte il devient brun-jaunâtre chez le mâle, et rouge vif chez la femelle. Le mâle possède aussi une petite crête charnue longitudinale de couleur plombée. Chez beaucoup de gallinacés, la crête constitue un fort bel ornement, et pendant que l’oiseau fait sa cour elle revêt des teintes fort vives ; mais que penser de la crête sombre et incolore du Condor, qui n’a, à nos yeux, rien de décoratif ? On peut se faire la même question relativement à divers autres caractères, comme, par exemple, la protubérance qui occupe la base du bec de l’oie chinoise (Anser cygnoïdes), protubérance beaucoup plus développée chez le mâle que chez la femelle ? Il nous est impossible, dans l’état de la science, de répondre à ces questions ; en tout cas, on ne saurait affirmer que ces protubérances et ces divers appendices charnus n’exercent aucun attrait sur la femelle, car il ne faut pas oublier que certaines races sauvages humaines considèrent comme des ornements beaucoup de difformités hideuses telles que de profondes balafres pratiquées sur la figure avec la chair relevée en saillie, la cloison nasale traversée par des os ou des baguettes, des trous pratiqués dans les oreilles et dans les lèvres de façon à les étendre autant que possible.

La sélection sexuelle a-t-elle ou non contribué à la conservation et au développement de ces différences insignifiantes ? C’est ce que nous ne saurions affirmer positivement. En tout cas, elles n’en obéissent pas moins aux lois de la variation. En vertu du principe de la corrélation du développement, le plumage varie souvent d’une façon analogue sur différentes parties du corps, ou même sur le corps entier. Nous trouvons la preuve de ce fait chez certaines races de gallinacés. Chez toutes les races, les plumes qui recouvrent le cou et les reins des mâles sont allongées et affectent la forme de soies ; or, lorsque les deux sexes acquièrent une huppe, ce qui constitue un caractère nouveau dans le genre, les plumes qui ornent la tête du mâle prennent la forme de soies, évidemment en vertu du principe de la corrélation, tandis que celles qui décorent la tête de la femelle conservent la forme ordinaire. La couleur des plumes de la huppe du mâle correspond souvent aussi avec celle des soies du cou et des reins, comme on peut le voir en comparant ces plumes chez les poules polonaises pailletées d’or ou d’argent, et chez les races Houdan et Crèvecœur. On constate, chez quelques espèces sauvages, la même corrélation entre la couleur de ces

  1. Zoology of the Voyage of H. M. S. Beagle, 1871, p. 6.