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avec elle pendant des semaines ; elle consentit au contraire à s’accoupler avec le premier dragon bleu qui s’offrit. Comme cette femelle avait une grande valeur, on l’enferma de nouveau avec un mâle bleu très-pâle, et elle finit par s’accoupler avec lui, mais seulement après plusieurs semaines. Toutefois, la couleur seule paraît généralement n’avoir que peu d’influence sur l’accouplement des pigeons. M. Tegetmeier voulut bien, à ma demande, teindre quelques-uns de ces oiseaux avec du magenta, et les autres n’y firent presque aucune attention.

Les pigeons femelles éprouvent à l’occasion, sans cause apparente, une antipathie profonde pour certains mâles. Ainsi MM. Boitard et Corbié, dont l’expérience s’est étendue sur quarante-cinq ans d’observations, disent : « Quand une femelle éprouve de l’antipathie pour un mâle avec lequel on veut l’accoupler, malgré tous les feux de l’amour, malgré l’alpiste et le chènevis dont on la nourrit pour augmenter son ardeur, malgré un emprisonnement de six mois et même d’un an, elle refuse constamment ses caresses ; les avances empressées, les agaceries, les tournoiements, les tendres roucoulements, rien ne peut lui plaire ni l’émouvoir ; gonflée, boudeuse, blottie dans un coin de sa prison, elle n’en sort que pour boire et manger, ou pour repousser avec une espèce de rage des caresses devenues trop pressantes[1]. » D’autre part, M. Harrison Weir a pu constater par lui-même un fait que d’autres éleveurs lui avaient signalé, c’est-à-dire qu’un pigeon femelle s’éprend parfois très-vivement d’un mâle, et abandonne pour lui son ancien compagnon. Riedel[2], autre observateur expérimenté, assure que certaines femelles ont une conduite fort déréglée et préfèrent n’importe quel étranger à leur propre mâle. Certains mâles amoureux, que nos éleveurs anglais appellent des « oiseaux galants », ont un tel succès dans toutes leurs entreprises galantes que, d’après M. Weir, on est obligé de les enfermer à cause du dommage qu’ils causent.

Aux États-Unis, les dindons sauvages, d’après Audubon, « viennent quelquefois visiter les femelles réduites en domesticité, ces dernières les accueillent ordinairement avec beaucoup de plaisir. Ces femelles paraissent donc préférer les mâles sauvages à leurs propres mâles[3]. »

Voici un cas plus curieux. Sir R. Heron observa avec soin, pen-

  1. Boitard et Corbié, les Pigeons, 1824, p. 12. Prosper Lucas (Traité de l’Hérédité nat., vol. II, 1850, p. 296) a observé des faits analogues chez les pigeons.
  2. Die Taubenzucht, 1824, p. 86.
  3. Ornithological Biography, vol. I, p. 13.