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bien que le prix d’un pinson ne soit guère que de cinquante centimes, M. Weir a vu un oiseau dont le propriétaire demandait soixante-quinze francs ; un oiseau véritablement bon chanteur continue à chanter pendant que le propriétaire de l’oiseau fait tourner la cage autour de sa tête, et c’est là l’épreuve qu’on lui fait subir pour s’assurer de son talent.

On peut facilement comprendre que les oiseaux chantent à la fois par émulation et pour charmer les femelles ; il est même tout naturel que ces deux causes concourent à un même but, de même que l’ornementation et la disposition belliqueuse. Quelques savants soutiennent cependant que le chant des mâles ne doit pas servir à captiver la femelle, parce que les femelles de certaines espèces, telles que les canaris, les rouges-gorges, les alouettes et les bouvreuils, surtout, comme le fait remarquer Bechstein, quand elles sont privées de mâles, font entendre les accords les plus mélodieux. On peut, dans quelques-uns de ces cas, attribuer cette aptitude au chant à ce que les femelles ont été élevées en captivité et ont reçu une alimentation trop abondante[1], ce qui tend à troubler toutes les fonctions usuelles en rapport avec la reproduction de l’espèce. Nous avons déjà cité beaucoup d’exemples du transport partiel des caractères masculins secondaires à la femelle, de sorte qu’il n’y a rien de surprenant à ce que les femelles de certaines espèces aient la faculté de chanter. On a prétendu aussi que le chant du mâle ne peut servir à captiver la femelle, parce que chez certaines espèces, le rouge-gorge, par exemple, le mâle chante pendant l’automne[2]. Mais rien n’est plus commun que de voir les animaux prendre plaisir à pratiquer les instincts dont, à d’autres moments, ils se servent dans un but utile. Ne voyons-nous pas souvent des oiseaux qui volent facilement, planer et glisser dans l’air uniquement par plaisir ? Le chat joue avec la souris dont il s’est emparé, et le cormoran avec le poisson qu’il a saisi. Le tisserin (Ploceus), élevé en captivité, s’amuse à tisser adroitement des brins d’herbes entre les barreaux de sa cage. Les oiseaux qui se battent ordinairement à l’époque des amours sont en général prêts à se battre en tout temps ; on voit quelquefois les grands tétras mâles tenir leurs assemblées aux lieux habituels, pendant l’automne[3]. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les oiseaux mâles continuent à chanter pour leur propre plaisir en dehors de l’époque où ils courtisent les femelles.

  1. D. Barrington, Phil. Trans., 1773, p. 262, Bechstein, Stubenvögel, 1840, p. 4.
  2. C’est également le cas pour le merle d’eau, M. Hepburn, dans Zoologist, 1845-46, p. 1068.
  3. L. Lloyd, Game Birds, etc., 1867, p. 23.