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que les individus appartenant à ce sexe sont exposés plus longtemps au danger ou ont moins de pouvoir pour y échapper ; or, chez les poissons, les mâles et les femelles ne paraissent pas différer sous ce rapport. S’il y avait une différence, elle intéresserait surtout les mâles qui, généralement moins grands et plus actifs que les femelles, courent plus de dangers ; cependant, lorsque les sexes diffèrent, presque toujours les mâles sont le plus richement colorés. Le mâle féconde les œufs immédiatement après la ponte, et lorsque cette opération dure plusieurs jours, comme chez le Saumon[1], le mâle ne quitte pas la femelle. Dans la plupart des cas, les deux parents abandonnent les œufs après la fécondation, de sorte que, pendant l’acte de la ponte, les mâles et les femelles sont exposés aux mêmes dangers, et tous deux jouent un rôle également important au point de vue de la production d’œufs féconds ; en conséquence, les mâles et les femelles, plus ou moins brillamment colorés, étant également soumis aux mêmes chances de destruction ou de conservation, tous deux doivent exercer une influence égale sur la coloration de leurs descendants.

Certains poissons appartenant à diverses familles construisent des nids, et il en est qui prennent soin des petits après leur éclosion. Les Crenilabrus massa et C. melops, mâles et femelles, si brillamment colorés, travaillent ensemble à la construction de leurs nids qu’ils forment d’algues marines, de coquilles, etc.[2]. Mais, chez certaines espèces, les mâles se chargent de toute la besogne, et, plus tard, prennent exclusivement soin des jeunes. C’est le cas des Gobies à couleurs ternes[3], dont les mâles et les femelles ne paraissent pas différer au point de vue de la coloration, ainsi que des Épinoches (Gasterosteus) chez lesquels les mâles revêtent pendant la saison du frai de si éclatantes couleurs. Le Gast. leiurus mâle à queue lisse remplit pendant longtemps, avec des soins et une vigilance exemplaires, les devoirs de nourrice ; il ramène constamment avec douceur vers le nid les jeunes qui s’en éloignent trop. Il chasse courageusement tous les ennemis, y compris les femelles de son espèce. Ce serait même un soulagement pour le mâle que la femelle, après avoir déposé ses œufs, fût immédiatement dévorée par quelque ennemi, car il est incessamment obligé de la chasser hors du nid[4].

  1. Yarrell, o. c., II, p. 11.
  2. D’après les observations de M. Gerbe : voir Günther, Record of Zoolog. Literature, 1863, p. 194.
  3. Cuvier, Règne animal, vol. II, 1829, p. 242.
  4. M. Warington. — Description des habitudes du Gasterosteus leiurus dans Annals and Mag., etc., Nov. 1855.