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M’Clelland, en décrivant ces poissons, va jusqu’à supposer que l’éclat particulier de leurs couleurs sert d’appât pour attirer les martins-pêcheurs, les sternes et les autres oiseaux destinés à tenir en échec l’augmentation du nombre de ces poissons ; » mais, aujourd’hui, peu de naturalistes seraient disposés à admettre qu’un animal ait revêtu de brillantes couleurs pour faciliter sa propre destruction. Il est possible que certains poissons soient devenus apparents pour avertir les oiseaux et les animaux carnivores (comme nous l’avons vu à propos des chenilles) qu’ils ne sont pas bons à manger ; mais les animaux piscivores ne rejettent, que je sache, aucun poisson d’eau douce tout au moins. En résumé, l’hypothèse la plus probable à l’égard des poissons dont les deux sexes affectent de vives couleurs, c’est que ces couleurs, acquises par les mâles comme ornements sexuels, ont été transmises à l’autre sexe à un degré à peu près égal.

Nous avons maintenant à considérer un autre point : lorsque la coloration ou les autres ornements du mâle diffèrent sensiblement de ceux de la femelle, faut-il en conclure que le mâle seul a subi des modifications et que ces variations sont héréditaires dans sa descendance mâle seule ; ou bien que la femelle a été spécialement modifiée dans le but de devenir peu apparente afin d’échapper plus facilement à ses ennemis, et que ces modifications se transmettent à sa descendance femelle seule ? Il est évident que beaucoup de poissons ont acquis une certaine coloration dans le but d’assurer la sécurité de l’espèce, et on ne saurait jeter un regard sur la surface supérieure tachetée d’une plie, sans être frappé de sa ressemblance avec le lit de sable sur lequel elle vit. En outre, certains poissons, grâce à l’action de leur système nerveux, ont la faculté de changer de couleur dans un très-court espace de temps, pour s’adapter aux couleurs des objets environnants[1]. Le docteur Günther[2] cite un des exemples les plus frappants d’un animal protégé par sa couleur et par sa forme, autant toutefois qu’on peut en juger d’après des individus conservés ; il s’agit d’une certaine anguille de mer, pourvue de filaments rougeâtres, qu’on peut à peine distinguer des algues auxquelles elle se cramponne par la queue. Mais ce qui nous importe actuellement, c’est de savoir si les femelles seules se sont modifiées dans ce but. Si les individus appartenant à l’un et à l’autre sexe sont sujets à varier, on comprend facilement que la sélection naturelle ne puisse intervenir pour modifier l’un des sexes, afin d’assurer sa sécurité, qu’autant

  1. G. Pouchet, l’Institut, 1er nov. 1871, p. 134.
  2. Proc. Zool. Soc., 1865, p. 327, pl. XIV et XV.