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sure que, dans beaucoup de genres, les mâles ont les ailes postérieures plus blanches que celles de la femelle — l’Agrotis exclamationis, par exemple. Chez l’Hepialus humuli la différence est encore plus tranchée ; les mâles sont blancs et les femelles jaunes avec des taches foncées[1]. Il est probable que, dans ces cas, les mâles sont devenus plus brillants que les femelles pour que ces dernières les aperçoivent plus facilement dans le crépuscule.

Il est donc impossible d’admettre que les brillantes couleurs des papillons et de certaines phalènes aient ordinairement été acquises comme moyen de protection. Nous avons vu que les brillantes couleurs et que les dessins élégants qui ornent les ailes des lépidoptères sont disposés de telle sorte qu’il semble que ces insectes ne songent qu’à en faire étalage. J’incline donc à penser que les femelles préfèrent généralement les mâles les plus brillants qui les séduisent davantage ; car, dans toute autre hypothèse, nous ne voyons aucune raison qui puisse motiver une si magnifique ornementation. Nous savons que les fourmis et que certains lamellicornes sont susceptibles d’attachement réciproque, et que les premières reconnaissent leurs camarades après un intervalle de plusieurs mois. Il n’est donc pas impossible que les lépidoptères, qui occupent sur l’échelle animale une position à peu près égale à celle de ces insectes, possèdent des facultés mentales suffisantes pour admirer les belles couleurs. Ils reconnaissent certainement les fleurs à la couleur. Le Sphinx (oiseau-mouche) découvre à une grande distance un bouquet de fleurs placé au milieu d’un vert feuillage, et deux de mes amis m’ont assuré qu’ils ont vu à plusieurs reprises des phalènes s’approcher des fleurs peintes sur les murs d’une chambre et essayer en vain d’y insérer leur trompe. D’après Fritz Müller, certaines espèces de papillons des parties méridionales du Brésil ont des préférences marquées pour certaines couleurs ; il a remarqué que ces papillons visitent très-souvent les fleurs rouge brillant

    l’espèce commune Spilosoma menthrasti, chez laquelle les mâles et les femelles sont blancs. M. Stainton a vu cette phalène rejetée avec dégoût par une couvée de jeunes dindons qui étaient d’ailleurs friands d’autres espèces ; si la Cycnia se trouve donc habituellement confondue par les oiseaux avec la Spilosoma, elle échappe à la destruction, sa couleur blanche constituant pour elle un grand avantage.

  1. Il est à remarquer que, dans les îles Shetland, le mâle de cette phalène, au lieu de différer de la femelle, lui ressemble souvent étroitement. Voir à cet égard M. Mac-Lachlan, Transact. Ent. Soc., vol. II, 1866, p. 459. M. G. Fraser, Nature, avril 1871, p. 489, suggère qu’à l’époque de l’année où l’Hepialus humuli paraît dans ces îles septentrionales, les mâles n’ont pas besoin de devenir blancs pour que les femelles puissent les apercevoir pendant la nuit, qui n’est plus qu’un crépuscule.