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complit l’organisme depuis son germe jusqu’à sa fin ; enfin, il fallut avoir recours à la paléontologie, à l’étude des êtres fossiles qui ont précédé les formes actuelles, et cela dans le but de comprendre la parenté plus ou moins éloignée qui relie ces êtres entre eux. Aujourd’hui, il faut ajouter à tous ces éléments, éclairés d’un nouveau jour, l’étude des limites possibles des variations que peut présenter un type ; l’influence, éminemment variable des milieux ambiants sur les différents types, et construire ainsi pièce par pièce les organismes définitifs, mais variables, que nous avons devant les yeux.

Eh bien, messieurs, peut-on raisonnablement croire que l’homme seul ne soit pas soumis à ces grandes lois de la nature, — que lui seul, parmi les êtres organisés, ait une origine fondamentalement différente de la leur, — que seul il n’ait ni formes parentes, ni prédécesseurs dans l’histoire de la terre, et que son existence ne se rattache à aucune autre ? Vraiment, posée en ces termes, la question me paraît résolue d’avance ! Mais la conséquence qui découle nécessairement de ces prémisses, c’est qu’à l’anthropologie est dévolue la même tâche qu’à toutes les autres branches de l’histoire naturelle, qu’elle ne doit pas se contenter d’étudier l’homme en lui-même, et sous les différentes formes qu’il présente à la surface de la terre, mais qu’elle doit sonder ses origines, scruter son passé lointain, recueillir avec soin toutes les données que peuvent fournir ses fonctions, son organisation, son développement individuel, son histoire, non seulement dans le sens habituel du mot, mais en se rapportant à un passé bien antérieur, et qu’elle doit remonter ainsi, comme la science le fait pour toutes les autres formes organiques, l’arbre généalogique jusque vers les branches congénères, portées par les mêmes racines, mais développées d’une manière différente.

Les découvertes récentes ont ouvert un horizon immense aux études relatives à l’homme. Dans tous les pays nous remarquons une ardeur presque fiévreuse pour remonter aux origines de l’homme cachées dans les couches de la terre ; de tous les côtés on apporte les preuves d’une antiquité bien plus reculée du type homme, que les imaginations les plus exaltées n’auraient jamais pu supposer jadis. Chaque jour cette Europe tant fouillée par les générations passées ouvre son sein pour nous montrer des trésors nouveaux, ou pour nous donner, par des faits inaperçus jusqu’à présent, la clef d’une foule d’énigmes que nous ne savions résoudre. Nous assistons à cette époque où l’homme sauvage, montrant des infériorités très-marquées dans son organisation corporelle, chassait dans les plaines du continent européen et de l’Angleterre le mammouth et le rhinocéros, le renne et le cheval sauvage ; nous suivons cet homme dans sa civilisation ascendante, où il devient nomade, pâtre, agriculteur, industriel, commerçant, trafiqueur et fondeur de métaux ; là où l’histoire et la tradition nous font défaut, nous lisons les faits et gestes de cette antiquité préhistorique dans les pierres et les bois ! Et, tandis que les « curieux de la nature », comme s’appelaient, dans une académie célèbre, les savants scrutateurs, poursuivent ainsi, de couche en couche, les restes de l’activité humaine ; d’autres, non moins curieux, s’attachent à son organisation en reprenant un à un tous les caractères jusque dans leurs petits détails, en étudiant leur développement dans le cours de la vie depuis le premier germe jusqu’à la fin, ou bien en s’adressant aux races, à leurs particularités, pour y trouver les preuves d’une infériorité ou su-