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Semnopithecus, d’un Cynocephalus, d’un Cercopithecus, d’un Macacus, d’un Cebus, d’un Callithrix, d’un Lemur, d’un Stenops, d’un Hapale, nous n’observons pas une différence plus grande, ou même aussi grande dans le degré de développement des circonvolutions, que celle qui existe entre le cerveau d’un homme et celui d’un Orang ou d’un Chimpanzé. »

Je me permettrai de répondre que cette assertion, qu’elle soit fausse ou non, n’a rien à faire avec la proposition énoncée dans mon ouvrage sur la place de l’Homme dans la nature, proposition qui a trait, non pas au développement des circonvolutions seules, mais à la structure du cerveau tout entier. Si le professeur Bischoff avait pris la peine de lire avec soin la page 96 de l’ouvrage qu’il critique, il y aurait remarqué le passage suivant : « Il importe de constater un fait remarquable : c’est que, bien qu’il existe, autant toutefois que nos connaissances actuelles nous permettent d’en juger, une véritable rupture structurale dans la série des formes des cerveaux simiens, cet hiatus ne se trouve pas entre l’homme et les singes anthropoïdes, mais entre les singes inférieurs et les singes les plus infimes, ou, en d’autres termes, entre les singes de l’ancien et du nouveau monde et les Lémuriens. Chez tous les Lémuriens qu’on a examinés jusqu’à présent, le cervelet est partiellement visible d’en haut, et le lobe postérieur, ainsi que la corne postérieure et l’hippocampus minor qu’il contient, sont plus ou moins rudimentaires. Au contraire, tous les marmousets, tous les singes américains, tous les singes de l’ancien monde, les babouins ou les singes anthropoïdes ont le cervelet entièrement caché par les lobes cérébraux postérieurs et possèdent une grande corne postérieure, ainsi qu’un hippocampus minor bien développé. »

Cette assertion était l’expression absolument exacte de l’état de la science au moment où elle a été faite ; il ne me semble pas, d’ailleurs, qu’il y ait lieu de la modifier à cause de la découverte subséquente du développement relativement faible des lobes postérieurs chez le singe siameng et chez le singe hurleur. Malgré la brièveté exceptionnelle des lobes postérieurs chez ces deux espèces, personne ne saurait soutenir que leur cerveau se rapproche le moins du monde de celui des Lémuriens. Or, si, au lieu de placer l’Hapale en dehors de sa situation naturelle, comme le professeur Bischoff le fait sans aucune raison, nous rétablissons comme suit la série des animaux qu’il a cités : Homo, Pithecus, Troglodytes, Hylobates, Semnopithecus, Cynocephalus, Cercopithecus, Macacus, Cebus, Callithrix, Hapale, Lemur, Stenops, je me crois en droit d’affirmer que la grande rupture dans cette série se trouve entre l’Hapale et le Lemur et que cette rupture est beaucoup plus grande que celle qui existe entre deux autres termes quels qu’ils soient de cette série. Le professeur Bischoff ignore sans doute que, longtemps avant lui, Gratiolet avait suggéré la séparation des Lémuriens des autres Primates, tout justement à cause de la différence qui existe dans leurs caractères cérébraux, et que le professeur Flower avait fait les observations suivantes en décrivant le cerveau du Loris de Java[1] :

« Il est surtout remarquable que, dans le développement des lobes postérieurs du cerveau, on ne remarque chez les singes qui se rapprochent de la famille des Lémuriens sous d’autres rapports, c’est-à-dire chez les membres inférieurs, ou groupe platyrrhinin, aucune ressemblance avec le cerveau court et arrondi des Lémuriens. »

Les progrès considérables qu’ont fait faire à la science, pendant les dernières dix années, les recherches de tant de savants, justifient donc les faits que j’ai constatés en 1863 relativement à la structure du cerveau adulte. On objecte toutefois que, en admettant la similitude du cerveau adulte de l’homme et des singes, ces organes n’en sont pas moins, en réalité, très différents parce que l’on observe des différences fondamentales dans le mode de leur développement. Personne plus que moi ne serait disposé à admettre la force de cet argument, si ces différences fondamentales de développement existaient réellement, ce que je nie complètement ; je soutiens, au contraire, que l’on peut observer

  1. Transactions of the Zoological Society, vol. v, p. 1862.