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pas encore trente ans, nous a valu la détermination de l’équivalent en force de la chaleur, l’identification de la chaleur et du mouvement, enfin toutes ces découvertes et applications magnifiques qui se succèdent depuis quelques années avec une rapidité si étonnante. Ne faut-il pas croire que l’application de ce même principe aux sciences organiques et descriptives s’y montrera tout aussi féconde qu’elle s’est déjà montrée dans les sciences physiques ?

Que voulons-nous en effet ? Démontrer que les formes si innombrables de la nature organisée ne sont que des mutations d’un fonds impérissable d’une quantité déterminée de matière et de force ; — démontrer que chaque forme organique est le résultat nécessaire de toutes les manifestations organiques qui l’ont précédée, et la base nécessaire de toutes celles qui vont la suivre ; — démontrer, par conséquent, que toutes les formes actuelles sont liées ensemble par les racines depuis lesquelles elles se sont élevées dans l’histoire de la terre, et dans les différentes périodes d’évolution que notre planète a parcourues ; — démontrer, enfin, que les forces qui se manifestent dans l’apparition de ces formes sont toujours restées les mêmes, et qu’il n’y a pas de place, ni dans le monde inorganique, ni dans le monde organique, pour une force tierce indépendante de la matière, et pouvant façonner celle-ci suivant son gré ou son caprice.

Tel est, ce me semble, le véritable noyau de ce qu’on est convenu d’appeler le Darwinisme ; son essence intime ne peut se définir autrement, suivant mon avis. Il n’importe que les uns suivent cette direction, pour ainsi dire instinctivement, sans se rendre compte des derniers résultats auxquels elle doit nécessairement conduire, tandis que les autres voient clairement le but vers lequel ils tendent ; — l’important est que cette direction se trouve, comme on dit, dans l’air, qu’elle s’imprime par le milieu spirituel dans lequel vit l’homme scientifique à tous les travaux, et qu’elle s’assoie même à côté de l’adversaire pour corriger ses épreuves avant qu’elles ne passent à la publicité.

L’héritage et la transmission des caractères est dans le monde organique, ce qui, dans le monde inorganique, est la continuation de la force. Chaque être est donc le résultat nécessaire de tous les ancêtres qui l’ont précédé, et, pour comprendre son organisation et la combinaison variée de ses organes, il faut tenir compte de toutes les modifications, de toutes les formes passées qui, par héritage, ont apporté leur contingent dans la nouvelle combinaison existante. Et de même que la force primitive se montre dans le monde physique et suivant les conditions extérieures, tantôt comme mouvement, tantôt comme chaleur, lumière, électricité ou magnétisme, de même ces conditions extérieures influent sur le résultat de l’héritage et amènent des variations et des transformations qui se transmettent à leur tour aux formes consécutives.

Une tâche immense incombe donc aujourd’hui aux sciences naturelles. Dans les temps passés, l’étude des formes extérieures suffisait aux buts restreints de la science ; plus tard il fallut ajouter l’étude de l’organisation intérieure autant dans les détails microscopiques que dans les arrangements saisissables à l’œil nu ; un pas de plus conduisait nécessairement, pour comprendre les analogies, les rapports et les différences dans la création actuelle (qu’on me passe le mot) vers l’embryogénie comparée, savoir la comparaison des différentes manières dont se construit et s’ac-