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condité. Si une de ces causes d’arrêt vient à s’amoindrir, même à un faible degré, la tribu ainsi favorisée tend à s’accroître ; or, si, de deux tribus voisines, l’une devient plus nombreuse et plus puissante que l’autre, la guerre, les massacres, le cannibalisme, l’esclavage et l’absorption mettent bientôt fin à toute concurrence qui peut exister entre elles. Lors même qu’une tribu plus faible ne disparaît pas, brusquement balayée, pour ainsi dire, par une autre, il suffit qu’elle commence à décroître en nombre, pour continuer généralement à le faire jusqu’à son extinction complète[1].

La lutte entre les nations civilisées et les peuples barbares est très courte, excepté, toutefois, là où un climat meurtrier vient en aide à la race indigène ; mais, parmi les causes qui déterminent la victoire des nations civilisées, il en est qui sont très claires et d’autres fort obscures. Il est facile de comprendre que les défrichements et la mise en culture du sol doivent de toutes les façons porter un coup terrible aux sauvages, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas changer leurs habitudes. Les nouvelles maladies et les vices nouveaux que contractent les sauvages au contact de l’homme civilisé constituent une cause puissante de destruction ; il paraît qu’une nouvelle maladie provoque une grande mortalité, qui dure jusqu’à ce que ceux qui sont le plus susceptibles à son action malfaisante soient graduellement éliminés[2]. Il en est peut-être de même pour les effets nuisibles des liqueurs spiritueuses, ainsi que du goût invétéré que tant de sauvages ont pour ces produits. Il semble, en outre, si mystérieux que soit le fait, que le contact de peuples distincts et jusqu’alors séparés engendre certaines maladies[3]. M. Sproat a étudié avec beaucoup de soin la question de l’extinction dans l’île de Vancouver ; il affirme que le changement des habitudes, qui résulte toujours de l’arrivée des Européens, provoque un grand nombre d’indispositions. Il insiste aussi beaucoup sur une cause en apparence bien insignifiante : le nouveau genre de vie qui entoure les indigènes les effare et les attriste ; « ils perdent tous leurs motifs d’efforts, et n’en substituent point de nouveaux à la place[4]. »

Le degré de civilisation constitue un élément très important pour assurer le succès d’une des nations qui entrent en concurrence.

  1. Gerland (op. c., p. 12) cite des faits à l’appui.
  2. Sir H. Holland fait quelques remarques à ce sujet dans Medical Notes and Reflections, 1839, p. 390.
  3. Dans mon Journal of Researches ; Voyage of the Beagle, p. 435, j’ai enregistré plusieurs faits à cet égard ; voir aussi Gerland (op. c., p. 8). Pœppig dit que « le souffle de la civilisation est un poison pour les sauvages ».
  4. Sproat. Scenes and studies of savage Life, 1868, p. 284.