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ces connaissances pussent s’oublier[1]. Il prouve ainsi que la « lance, simple développement du couteau, et la massue qui n’est qu’un long marteau, sont les seules armes que possèdent toutes les races ». Il admet, en outre, que l’homme avait probablement déjà découvert l’art de faire le feu, car cet art est commun à toutes les races existantes, et il était pratiqué par les anciens habitants des cavernes de l’Europe. Peut-être l’homme connaissait-il aussi l’art de construire de grossières embarcations ou des radeaux ; mais, comme l’homme existait à une époque très reculée, alors que la terre, en bien des endroits, se trouvait à des niveaux très différents de ceux qu’elle occupe aujourd’hui, on peut supposer qu’il a pu occuper de vastes régions sans l’aide d’embarcations. Sir J. Lubbock fait remarquer, en outre, que probablement nos ancêtres les plus reculés ne savaient pas compter jusqu’à dix, car beaucoup de races actuelles ne savent pas compter au delà de quatre. Quoi qu’il en soit, dès cette antique période, les facultés intellectuelles et sociales de l’homme devaient être à peine inférieures à ce que sont aujourd’hui celles des sauvages les plus grossiers ; autrement, l’homme primordial n’aurait pas si bien réussi dans la lutte pour l’existence, succès que prouve sa précoce et vaste diffusion.

Quelques philologues ont conclu des différences fondamentales qui existent entre certains langages, que, lorsque l’homme a commencé à se répandre sur la terre, il n’était pas encore doué de la parole ; mais on peut supposer que des langages, bien moins parfaits que ceux actuellement en usage et complétés par des gestes, ont pu exister, sans, cependant, avoir laissé de traces sur les langues plus développées qui leur ont succédé. Il paraît douteux que, sans l’usage de quelque langage, si imparfait qu’il fût, l’intelligence de l’homme eût pu s’élever au niveau qu’implique sa position dominante à une époque très reculée.

Nos ancêtres méritaient-ils le nom d’hommes, alors qu’ils ne connaissaient que quelques arts très grossiers, et qu’ils ne possédaient qu’un langage extrêmement imparfait ? Cela dépend du sens que nous attribuons au mot homme. Dans une série de formes partant de quelque être à l’apparence simienne et arrivant graduellement à l’homme tel qu’il existe, il serait impossible de fixer le point défini auquel le terme « homme » devrait commencer à s’appliquer. Mais cette question a peu d’importance ; il est de même fort indifférent qu’on désigne sous le nom de « races » les diverses variétés humaines, ou qu’on emploie les expressions « espèces »

  1. Prehistoric Times, 1869, p. 571.