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de combustible que nous introduisons sous forme d’aliment. Le muscle, qui se contracte, n’est aujourd’hui qu’une machine, dont les effets de force sont déterminés aussi rigoureusement que ceux d’un câble de grue, et cette machine agit aussi longtemps qu’elle n’est pas dérangée, avec autant de précision qu’un câble inanimé. Aujourd’hui, nous détachons un muscle d’une grenouille vivante, nous le mettons dans les conditions nécessaires pour sa conservation, en empêchant sa dessiccation et sa décomposition, nous lui donnons, comme du charbon à une machine, de temps en temps le sang nécessaire pour remplacer la matière brûlée par l’oxygène de l’air, — et ce muscle isolé, sous cloche, séparé de l’organisme, non depuis des heures et des jours, mais même depuis des semaines, ce muscle travaille sur chaque irritation que nous lui transmettons par l’électricité aussi exactement qu’un spiral de montre dès qu’il est monté ! Aujourd’hui, nous décapitons un animal, — nous le laissons mourir complètement, — mais, après cette mort, nous injectons dans la tête du sang d’un autre animal de la même espèce battu et chauffé au degré nécessaire, — et cette tête revit, rouvre ses yeux, et ses mouvements nous prouvent que son cerveau, organe de la pensée, fonctionne de nouveau et de la même manière comme avant la décapitation.

Je ne veux pas m’étendre ici sur les conséquences que l’on peut tirer de ces expériences. La physique inorganique nous prouve que chaleur et mouvement ne sont qu’une seule et même force, — que la chaleur peut être transformée en mouvement et vice versa ; — la physique organique, car c’est ainsi qu’on peut appeler aujourd’hui cette branche de la biologie, nous démontre que les mêmes lois régissent l’organisme ; — nous mesurons le mouvement de la pensée, nous déterminons la vitesse, peu considérable du reste, avec laquelle elle se transmet, et nous apprécions la chaleur dégagée dans le cerveau par ce mouvement. Mais, je le répète, nous n’aurions pu arriver à ces expériences et à leurs résultats si frappants, si observateurs et expérimentateurs n’avaient travaillé, avant tout à l’affranchissement de leur propre pensée, s’ils n’avaient rejeté d’avance, avant de les tenter, toute idée transmise par les autorités, pour s’en tenir aux faits seulement et aux lois qui en découlent. Lorsque Lavoisier prit la première fois la balance en main pour constater que le produit de la combustion était plus pesant que la substance brûlée, avant cette opération, et que la combustion était, par conséquent, une combinaison et non une destruction, il partait nécessairement du principe de l’indestructibilité de la matière et détruisait en même temps ce phlogiston, cette force occulte et indémontrable que l’on avait invoquée pour expliquer une foule de phénomènes du monde inorganique, absolument comme on invoque encore aujourd’hui cette force vitale dont les retraites obscures sont forcées et éclairées tour à tour par le flambeau de l’investigation.

Si nous constatons ici, dans le domaine de la physiologie, l’heureux effet de l’affranchissement de la méthode investigatrice, nous en pouvons voir encore une manifestation brillante dans le domaine de la zoologie et de la botanique proprement dites. Je veux parler de la direction nouvelle imprimée à ces sciences ainsi qu’à l’anthropologie, par Darwin.

Que veut, en effet, cette direction nouvelle qui se base, comme toute innovation, sur des précédents, mais, il faut l’avouer aussi, sur des précédents en grande partie oubliés et négligés ?

Avant tout, elle veut combattre des opinions transmises, autoritaires,