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(Bory Saint-Vincent), seize (Desmoulins), vingt-deux (Morton), soixante (Crawford), ou soixante-trois, selon Burke[1]. Cette diversité de jugements ne prouve pas que les races humaines ne doivent pas être considérées comme des espèces, mais elle prouve que ces races se confondent les unes avec les autres de telle façon qu’il est presque impossible de découvrir des caractères distinctifs évidents qui les séparent les unes des autres.

Un naturaliste qui a eu le malheur d’entreprendre la description d’un groupe d’organismes très variables (je parle par expérience) a rencontré des cas précisément analogues à celui de l’homme ; s’il est prudent, il finit par réunir en une espèce unique toutes les formes qui se confondent les unes avec les autres, car il ne se reconnaît pas le droit de donner des noms à des organismes qu’il ne peut pas définir. Certaines difficultés de cette nature se présentent dans l’ordre qui comprend l’homme, c’est-à-dire pour certains genres de singes, tandis que, chez d’autres genres, comme le Cercopithèque, la plupart des espèces se laissent déterminer avec certitude. Quelques naturalistes affirment que les diverses formes du genre américain Cebus constituent des espèces, d’autres considèrent ces formes comme des races géographiques. Or, si, après avoir recueilli de nombreux Cebus dans toutes les parties de l’Amérique du Sud, on constatait que des formes qui, actuellement, paraissent spécifiquement distinctes se confondent les unes avec les autres, on ne manquerait pas de les considérer comme de simples variétés ou de simples races ; c’est ainsi qu’ont agi la plupart des naturalistes pour les races humaines. Il faut avouer, cependant, qu’il y a, tout au moins dans le règne végétal[2], des formes que nous ne pouvons éviter de qualifier d’espèces, bien qu’elles soient reliées les unes aux autres, en dehors de tout entre-croisement, par d’innombrables gradations.

Quelques naturalistes ont récemment employé le terme « sous-espèce » pour désigner des formes qui possèdent plusieurs caractères qui dénotent ordinairement les espèces véritables, sans mériter, cependant, un rang aussi élevé. Or, si, d’une part, les raisons importantes que nous avons énumérées ci-dessus paraissent justifier l’élévation des races humaines à la dignité d’espèces, nous

  1. Ce sujet est fort bien discuté dans Waitz (Introduction à l’Anthropologie). J’ai emprunté quelques-uns de ces renseignements à H. Tuttle, Origin and Antiquity of Physical Man, Boston, 1866, p. 35.
  2. Plusieurs cas frappants ont été décrits par le professeur Nägeli dans ses Botanische Mittheilungen, vol. II, 1866, p. 294-369. Le professeur Asa Gray a fait des remarques analogues sur quelques formes intermédiaires chez les Composées de l’Amérique du Nord.