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En dehors de ce défaut de mélange par croisement, l’absence complète, dans une région bien étudiée, de variétés reliant l’une à l’autre deux formes voisines, constitue probablement le critérium le plus important de tous pour établir la distinction spécifique ; or, il y a dans ce fait autre chose qu’une simple persistance de caractères, attendu que deux formes peuvent, tout en variant énormément, ne pas produire de variétés intermédiaires. Souvent aussi, avec ou sans intention, on fait jouer un rôle à la distribution géographique, c’est-à-dire qu’on regarde habituellement comme distinctes les formes appartenant à deux régions fort éloignées l’une de l’autre, où la plupart des autres espèces sont spécifiquement distinctes ; mais, en réalité, il n’y a rien là qui puisse nous aider à distinguer les races géographiques de celles qu’on appelle les véritables espèces.

Appliquons maintenant aux races humaines ces principes généralement admis, et pour cela étudions ces races au même point de vue que celui auquel se placerait un naturaliste à propos d’un animal quelconque. Quant à l’étendue des différences qui existent entre les races, nous avons à tenir compte de la finesse de discernement que nous avons acquise par l’habitude de nous observer nous-mêmes. Elphinstone[1] a fait remarquer avec raison que tout Européen nouvellement débarqué dans l’Inde ne distingue pas d’abord les diverses races indigènes, qui ensuite finissent par lui paraître tout à fait dissemblables ; l’Hindou, de son côté, ne remarque pas non plus de différences entre les diverses nations européennes. Les races humaines, même les plus distinctes, ont des formes beaucoup plus semblables qu’on ne le supposerait au premier abord ; il faut excepter certaines tribus nègres ; mais certaines autres, comme me l’apprend le Dr Rohlfs et comme j’ai pu m’en assurer par moi-même, ressemblent aux peuples de souche caucasienne. C’est ce que démontrent les photographies de la collection anthropologique du Muséum de Paris, photographies faites d’après des individus appartenant à diverses races, et dont la plupart, comme l’ont remarqué beaucoup de personnes à qui je les ai montrées, pourraient passer pour des Européens. Toutefois, vus vivants, ces hommes sembleraient sans aucun doute très distincts, ce qui prouve que nous nous laissons beaucoup influencer par la couleur de la peau, la nuance des cheveux, de légères différences dans les traits, et l’expression du visage.

Il est certain, cependant, que les diverses races, comparées et

  1. History of India, 1841, vol. I, p. 323. Le père Ripa fait exactement la même remarque à propos des Chinois.