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tébrées, hermaphrodites, attachées d’une façon permanente à un support, et qui paraissent à peine animalisées, car elles ne consistent qu’en un sac simple, ferme, ayant l’apparence du cuir, muni de deux petits orifices saillants. Les Ascidiens appartiennent aux Molluscoïda de Huxley, — une division inférieure du grand règne des Mollusques ; cependant quelques naturalistes les ont récemment placés parmi les vers. Leurs larves affectent un peu la forme des têtards[1], elles peuvent nager en toute liberté. Quelques observations, récemment faites par Kovalevsky[2], et confirmées depuis par le professeur Kupffer, tendent à prouver que les larves des Ascidiens se rattachent aux vertébrés, par leur mode de développement, par la position relative du système nerveux, et par la présence d’une conformation qui se rapproche tout à fait de la chorda dorsalis des animaux vertébrés. M. Kovalevsky m’écrit de Naples qu’il a poussé ses observations beaucoup plus loin, et, si les résultats qu’il annonce sont confirmés, il aura fait une découverte du plus haut intérêt. Il semble donc, si nous nous en rapportons à l’embryologie, qui a toujours été le guide le plus sûr du classificateur, que nous avons découvert enfin la voie qui pourra nous conduire à la source dont descendent les vertébrés[3]. Nous serions aussi fondés à admettre que, à une époque très ancienne, il existait un groupe d’animaux qui, ressemblant à beaucoup d’égards aux larves de nos Ascidiens actuels, se sont séparés en deux grandes branches, — dont l’une, suivant une marche rétrograde, aurait formé la classe actuelle des Ascidiens, tandis que l’autre se serait élevée jusqu’au sommet et au couronnement du règne animal, en produisant les vertébrés.

Nous avons jusqu’ici cherché à retracer à grands traits la généa-

  1. J’ai eu la satisfaction de voir, aux îles Falkland, en 1833, par conséquent quelques années avant d’autres naturalistes, la larve mobile d’une Ascidie composée, voisine mais génériquement distincte du Synoicum. La queue avait environ cinq fois la longueur de la tête, et se terminait par un filament très fin. Elle était nettement séparée, telle que je l’ai esquissée sous un microscope simple, par des partitions opaques transversales qui représentent, à ce que je suppose, les grandes cellules figurées par Kowalevsky. À un état précoce de développement, la queue est enroulée autour de la tête de la larve.
  2. Mémoires de l’Acad. des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. x, no 15, 1866.
  3. Je dois ajouter que des autorités compétentes disputent cette conclusion, M. Giard par exemple, dans une série de mémoires publiés dans les Archives de Zoologie expérimentale, 1872. Toutefois ce naturaliste fait remarquer, p. 281 : « L’organisation de la larve ascidienne, en dehors de toute hypothèse et de toute théorie, nous montre comment la nature peut produire la disposition fondamentale du type vertébré (l’existence d’une corde dorsale) chez un invertébré par la seule condition vitale de l’adaptation, et cette simple possibilité du passage supprime l’abîme entre les deux sous-règnes, encore bien qu’on ignore par où le passage s’est fait en réalité. »