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ont pourtant atteint un âge avancé, quoiqu’ils soient toujours restés faibles et qu’ils aient eu, par conséquent, une moindre chance de vie. Une autre circonstance remarquable, qui paraît venir à l’appui de la conclusion du docteur Stark, est que, en France, les veufs et les veuves, comparés aux gens mariés, subissent une mortalité considérable ; mais le docteur Farr attribue cette mortalité à la pauvreté, aux habitudes fâcheuses qui peuvent résulter de la rupture de la famille et au chagrin. En résumé, nous pouvons conclure, avec le docteur Farr, que la mortalité moindre des gens mariés, comparée à celle des célibataires, ce qui paraît être une loi générale, « est principalement due à l’élimination constante des types imparfaits, à la sélection habile des plus beaux individus dans chaque génération successive ; » la sélection ne se rattachant qu’à l’état de mariage, et agissant sur toutes les qualités corporelles, intellectuelles et morales[1]. Nous pouvons donc en conclure que les hommes sains et valides, qui, par prudence, restent pour un temps célibataires, ne sont pas exposés à un taux de mortalité plus élevé.

Si les divers obstacles que nous venons de signaler dans les deux derniers paragraphes, et d’autres encore peut-être inconnus, n’empêchent pas les membres insouciants, vicieux et autrement inférieurs de la société d’augmenter dans une proportion plus rapide que les hommes supérieurs, la nation doit rétrograder, comme il y en a, d’ailleurs, tant d’exemples dans l’histoire du monde. Nous devons nous souvenir que le progrès n’est pas une règle invariable. Il est très difficile d’indiquer pourquoi une nation civilisée s’élève, devient plus puissante et s’étend davantage qu’une autre ; ou pourquoi une même nation progresse davantage à une époque qu’à une autre. Nous devons nous borner à dire que le fait dépend d’un accroissement du chiffre de la population, du nombre des hommes doués de hautes facultés intellectuelles ou morales, aussi bien que de leur état de perfection. La conformation corporelle, en dehors du rapport inévitable entre la vigueur du corps et celle de l’esprit, paraît n’avoir qu’une influence secondaire.

Chacun admet que les hautes aptitudes intellectuelles sont avantageuses à une nation ; certains écrivains en ont conclu que les anciens Grecs, qui se sont, à quelques égards, élevés intellectuellement plus haut qu’aucune autre race[2], auraient dû, si la puissance de la sé-

  1. Le Dr Duncan (Fecundity, Fertility, etc., 1871, p. 334) fait remarquer à cet égard : « À chaque âge les célibataires les plus sains et les plus beaux se marient, et seuls les gens maladifs ou malheureux restent célibataires. »
  2. Voir à cet égard le raisonnement ingénieux et original de M. Galton, Hereditary Genius, p. 340-342.